Leonor Merino
Drª de la Universidad Autónoma de Madrid


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Forum avec les écrivains Yasmina Khadra et Amine Zaoui
FNAC de Madrid, 10 octobre 2003

Forum
avec les écrivains
Yasmina Khadra et Amine Zaoui


le 10 octobre 2003 / FNAC de Madrid

Leonor Merino
Drª de la Universidad Autónoma de Madrid


Ci-dessous, j'ai le plaisir de vous rendre compte de mon introduction sur la table ronde des écrivains Yasmina Khadra (Mohammed Moulessehoul) et Amine Zaoui. Je ne l'ai pas lue. Je m'en souvenais par cœur. Car je vous assure -et je m'en excuse- que je suis dotée d'une mémoire cognitive spatiale qui retient les pages de ce que -passionnément- je venais d'écrire pour un public si hétérogène -que je savais d'avance, dû à mon expérience à la FNAC madrilène.


Cette table ronde a eu lieu le vendredi 10 octobre à la FNAC de Madrid. J'ai eu aussi l'honneur de la modérer. C'était le soir. Elle a duré deux heures et demie. MM les Ambassadeurs de la France et de l'Algérie y étaient présents. La salle était comble. Les gens remplissaient les couloirs. Les plus jeunes étaient assis par terre (de même que dans certaines de nos vieilles facultés espagnoles, lorsque nos étudiants n'y trouvent pas de place). Je sentais une ambiance fort chaleureuse qui m'entourait : C´était le public dont je ne pourrais jamais remercier la générosité. C'était l'entourage des écrivains qui me regardaient avec complaisance, au fur et à mesure que je parlais -Khadra s'était décontracté et Zaoui gardait son calme.

Alors, après ma propre présentation, j'ai dit de mon mieux, d'une manière paisible et enthousiaste : Permettez-moi de commencer par une petite introduction afin d'avoir un panorama historique-littéraire de ces écrivains algériens connus qui appartiennent à un espace géographique comme le Maghreb ou Al-Maghrib : un terme qui vient de la langue arabe, qui signifie le couchant -l'Occident- par opposition au levant -l'Orient-, un terme qui désigne les trois pays qui constituent le Nord de l'Afrique : L'Algérie, le Maroc et la Tunisie.

Trois pays riches, immenses, qu'il faut considérer dans leurs contextes historiques ponctuels, qui ont de grandes littératures maghrébines de langue française, universelles, auxquelles les deux écrivains -ici présents- désirent rendre hommage : De ce grand éventail, je ne vous cite que les écrivains, qui ont été, pour ainsi dire, les ancêtres de ces littératures. Parmi les écrivains algériens : Les frères Amrouche (Jean et Marie Louise ou Taos), Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Assia Djebar. Les Marocains : Ahmed Sefrioui, Driss Chraïbi. Et l'écrivain Albert Memmi pour la Tunisie.

Maintenant, je souhaite vous ramener aux 132 années de colonisation française en Algérie à partir de 1830, à ces huit années de guerre -spécialement sanglante- depuis le 1er novembre 1954 jusqu'à son indépendance -le 3 juillet 1963-, à sa langue autochtone supprimée de l'enseignement. Tout cela qui a bouleversé, jadis, l'identité algérienne à la recherche de ses racines. La plus grande partie des œuvres historiques tournent autour de ce problème, de cet écueil que l'on devrait éviter, car -selon des études actuelles-, l'Algérie a émergé comme une nation moderne au temps de la colonisation.

Donc, on devrait offrir une perspective historique de ladite réalité. Car, comment décrire cet univers algérien si compliqué dont il a eu, pendant la colonisation, une ségrégation et un contact ? Comment dessiner une histoire d'amour, une histoire de mésentente ? Très probablement avec un témoignage qui assure la rédemption à travers les traces orales et écrites de la culture algérienne et française. Et je me souviens de l'historien et du sociologue Benjamin Stora et de son œuvre : La Gangrène et l'Oubli . Je me souviens d'un écrivain comme Jean Pélégri qui vient de décéder.

Son œuvre, Les Oliviers de la justice, parle du besoin de justice, de cette volonté d'équilibrer les torts et les douleurs -il revendiquait son appartenance au petit peuple pied-noir, en partageant les peines tout en dénonçant la recrudescence des iniquités et des exactions dont la population musulmane a été une victime. Je me souviens du poète Jean Sénac -dont le souvenir de notre Garcia Lorca revient à mon esprit : cette réminiscence qui est l'ombre de ce souvenir si aimé.

Cependant, contrairement à ces événements, à ce contexte historique, le Maroc et la Tunisie ont été " soumis " à de " Protectorats " : Le Maroc depuis 1892 jusqu'au 2 mars 1956 et la Tunisie depuis 1881 jusqu'au 20 mars 1956 : Dans ce pays l'université Zaytouna et le Collège Sadiky, ainsi que l'Université Al-Karaouiyine au Maroc, ont joué un rôle important dans l'enseignement de la langue arabe.

Donc, l'Algérie, soumise au fil des siècles à de multiples influences culturelles et linguistiques, offre une mosaïque fidèle à l'histoire de ce grand pays. Les interrogations essentielles des algériens ont porté sur des problèmes identitaires. Une identité entre plusieurs langues, l'arabe classique, l'arabe algérien (ou arabe dialectal), le tamazight (la langue des berbères d'Algérie) et le français qui était, comme disait l'écrivain Kateb Yacine, l'entrée dans la gueule du loup. Un autre écrivain, Malek Haddad choisit de taire à jamais sa belle écriture : Nous écrivons dans la langue de ceux qui ont été nos ennemis pendant la guerre de libération. Alors, c'est impossible. Nous devons disparaître comme des écrivains. Nous gênons.

Mais revenons maintenant, cher public, à nos jours : Plusieurs lustres se sont écoulés depuis les indépendances désirées, et la langue française est déjà devenue une option délibérée -quelques auteurs écrivent dans la langue arabe-, et -bien loin du bilinguisme et du biculturalisme- ils emploient la langue française comme un instrument de jouissance personnelle et comme un projet d'écriture. Ils enrichissent la langue française, grâce à l'immersion dans sa première langue qui est sous-jacente dans leurs écritures. Cette langue qui oscille dans une traduction constante, latente, comme un filigrane.

Je veux vous dire, comment je me suis approchée de la littérature algérienne, comme chercheuse universitaire, comme " troubadour " : Sur la pointe de mes pieds, comme je m'approche du chevet de quelqu'un dolent -peut-être-, que je désire comprendre. Mais, surtout, je vais à la recherche de sa prose, de ce lien entre le texte et le mot, je vais à la recherche de ce style littéraire qui, un moment historique dépassé, atteint un caractère universel, comme les romans policiers recueillis dans La Trilogie d'Alger : Moritouri (Llob essaye d'éclaircir le meurtre d'un intellectuel), Double Blanc (maintenant il enquête sur les mobiles des crimes survenus à des gens influents et il se confronte à l'impunité et à l'injustice de son pays) et L'automne des chimères (il ouvre des espaces méta-narratifs caractéristiques du polar.

Le commissaire Llob s'en tire mal et, après avoir été renvoyé de son poste pour avoir écrit deux livres -Moritouri et Double blanc-, on le trouve mort sur les rues d'Alger). Cette trilogie confirme que Yasmina Khadra est un écrivain prolifique, qui a été traduit à plusieurs langues.

Un écrivain qui a été le commissaire Ibrahim Llob (le premier masque littéraire : un homme incorruptible, ironique, fidèle à ses idéaux) et ensuite le deuxième masque littéraire sous le célèbre pseudonyme au prénom féminin de Yasmina Khadra avec lequel il signe ses romans. Cet écrivain a été militaire de l'armée algérienne où il demeura pendant trente six ans. Il avait été emmené par son père à l'Académie Militaire, lors qu'il avait sept ans. Son récit autobiographique de profondeur psychanalytique a été raconté dans L'Écrivain. Il est Mohammed Moulessehoul.

Ses romans Les agneaux du Seigneur et À quoi rêvent les loups sont en somme, une sorte de palimpseste (l'horreur des génocides islamistes y est quotidienne de même que l'abîme entre des victimes et des bourreaux) que Khadra nous livre dans une écriture photographique, où la langue se veut allégorique, avec un " je "" froid ", apparemment hors de portée de la barbarie -ou qui s'y implique ?-, qui découvre un écrivain et une tragédie algérienne : écartelée entre le désir de paix et le déclenchement de la violence.

Cette recherche littéraire, dont je vous parlais ci-dessus, s'est encore comblée dans l'écriture poétique et dénonciatrice d'Amine Zaoui qui a été professeur de Littérature (à Oran et à Paris VIII). Il fut aussi producteur et animateur pour la télévision algérienne d'une émission de littérature d'une grande liberté.

Cet auteur concilie la langue arabe et la langue française : L'arabe -langue sacrée à laquelle il essaye d'offrir de la laïcité et de la force poétique-, et le français -pour se libérer et dénoncer.

Dans un essai maîtrisé, érudit, sur les sociétés arabes, et à la lumière de ce qu'il appelle " la culture du sang ", Amine Zaoui énumère, à travers les siècles -au Maghreb et au Moyen-Orient- des persécutions diverses dont les écrivains et les poètes ont été des victimes. Il offre aussi un déploiement de métaphores à travers l'accumulation d'images érotiques, tout en sang, dans l'Aïd el-Kébir : la Grande Fête des musulmans où l'on remémore Abraham, prêt à immoler son fils pour sauver son âme.

Ce jour, un agneau est abattu, puis rôti à la braise, tout entier (méchoui), qui sera aussi partagé parmi les pauvres. Zaoui voit le plaisir du sang, au centre de la fête du sacrifice. Il voit aussi le vampirisme " de la virginité ", car la fête des nouveaux mariés ne commence qu'après l'apparition du sang et qui serait très intéressant d'analyser avec d'autres écrivains, avec le marocain Abdelhak Serhane ou l'algérien Rachid Boudjedra -même si chez celui-ci- son écriture du délire est plus propre d'une analyse psychanalytique.

Dans Haras de femmes (haras : lieu destiné à l'amélioration des races de chevaux par la sélection des étalons), avec une écriture d'une beauté poétique (à ce que je sais la mère de Zaoui -chanteuse de saf-, l'a initié à la poésie), il déploie le formidable fantasme du pouvoir sexuel des hommes du désert, non seulement chez les femmes de la tribu mais aussi chez les femmes occidentales. Donc, difficile de ne pas se croire pourvu d'un phallus fabuleux, comme Amine Zaoui le récrée dans La Soumission : un beau roman qui se lit comme une initiation sexuelle.

Et La Razzia: l'histoire d'un bordel aimé où l'Algérie est une terre de cocagne, d'amour et de froideur : Des sentiments, que le cœur éprouve, ressent. Mais à quoi se doit-il que je pense aux razzias des expéditions de l'armée de conquête aux premières années de la pénétration coloniale, mais à quoi se doit-il que je pense au roman Le Siècle des sauterelles de Mokeddem ? : " Les livres, les lettres sont notre royaume de rêves et d'espoir et de courage " -Amine m'avait déjà dédicacé ces mots dans sa Soumission-, les livres font que nos pensées naviguent d'un texte à l'autre.

En résumé, on pouvait encore dire beaucoup, avec des études comparatives, opposées, de ces écritures baignées en vagues de sang, qui deviennent " vampires " pour transcrire les hurlements.

Mais ces écrivains ne désirent pas arriver aux lecteurs par leur situation d'hommes qui ont été persécutés -comme le cas d'Amine Zaoui qui a été accueilli par le Parlement de Strasbourg, qui est, actuellement, le directeur de la Bibliothèque Nationale d'Alger-. Ils veulent nous rattraper par ce qu'ils nous transmettent à travers leurs livres. Amine aime les travailler comme des sculptures. Cette littérature est un univers de générosité que chaque auteur consolide avec son talent et sa conviction. Donc, ils ont déjà assumé la crainte, la menace. Et voici qu'un sentiment me perce maintenant le cœur : le regard limpide et honnête de mon ami algérien, écrivain et journaliste, Tahar Djaout, qui a été foudroyé d'une balle terroriste, le 26 mai 1993, et qui entré dans le coma, il meurt le 3 juin. Et le poète nous disait : Si tu dis tu meurs, si tu ne dis pas tu meurs ; alors dis et meurs.

Nous sommes donc, devant ces hommes avec une écriture de description de l'âme humaine en proie à la désolation et à l'effroi. Une écriture pour se palper et sonder, une écriture pour résister et troubler, pour se libérer.

Donc, je vous propose -puisque l'Algérie est une société avec une grande tradition orale- de convertir la salle dans la halqa (cercle) : celle qui a lieu au grand air, sur les places algériennes, où le public entoure les acteurs tout en leur interpellant d'un dialogue vif, chaleureux, incitateur. J'attends que ce contact humain soit enrichissant pour nous tous, car l'Algérie a des messages à nous transmettre, de l'énergie, et -peut-être quelques leçons à nous donner.



Note.- Après avoir lu des extraits des textes suivants -je les ai lus : À quoi rêvent les loups, L'automne des chimères, La Soumission et La razzia, de vives questions et d'excellentes réponses se sont déclenchées. Ces superbes cadeaux du public et des écrivains m'ont, vivement, enrichi. Je les garde, précieusement. Les auteurs ont dédicacé leurs livres. Le mien n'y était pas. Je n'ai pas voulu. Mais puisque la conférence avait été annoncée, la personne chargée de ces littératures à la Fnac, Mlle. Penélope, m'a dit qu'on avait vendu quelques exemplaires de mon livre pendant la matinée. Tant mieux pour donner à connaître ces auteurs et leurs traductions !

Argelia y sus artistas : una Nacion de nuestro siglo
Institut de Madrid, 9-24 octobre 2003

« Argelia y sus artistas : una Nacion de nuestro siglo »:
Institut de Madrid
du 9 au 24 octobre 2003

Leonor Merino
Drª de la Universidad Autónoma de Madrid

Le jeudi 9, Afifa Bererhi, professeur d'université à Alger, a exposé une excellente communication à l’Institut de Madrid : "Mohammed Dib à la croisée des cultures".


Je vous prie, instamment, d’avoir parmi vos textes le précieux petit livre dont elle est co-auteur : Lire, relire Mohammed Dib (édit., du Tell, Blida, Algérie, 96 p.). Une autre prière aussi: Je ne sais pas comment vous pouvez accéder à un autre beau texte « Mohammed Dib. Les lieux de l’écriture » dont le responsable du projet est Naget Khadda -qui a écrit la présentation de l’œuvre de Dib-, suivi de la conception d’Afifa Bererhi (Production et réalisation Studio Pub/Nakhla-Alger (fax : 21321299202, www.studiopub-dz.com). J’y insiste, car la plus grande partie de ce que Bererhi a dit se trouve dans ces livres.

De toute façon, en résumé, je vous signale qu’elle a longuement parlé du poème dibien, « Véga », publié depuis les événements de mai 1945 dont l’auteur algérien inscrit la croisée des cultures, « l’interculturalité », -si je peux le transcrire ainsi-. Selon Berehi, ce poème constitue les assises de sa littérature.

Depuis la Trilogie, qui est une description de la situation de l’époque, Dib initie un autre parcours à la recherche de l’universel. Le génie de Dib se trouve, précisément dans la transformation de l’Exil de la nostalgie en promesse. Bererhi l’appelle: la différence intraitable : se nommer, se reconnaître, admettre sa différence afin d’accepter la différence de l’Autre. Dans L’infante maure -dont Bererhi a lu quelques extraits-, il y a une adjonction parfaite des cultures ce qui produit un épanouissement culturel grâce à la diversité. Dans cette œuvre, Dib fait allusion aux grands classiques de la musique universelle: voilà l’importance d’être à l’écoute de l’Autre (l’ouie fait le sujet), toujours selon Bererhi..

Elle mentionna les clés de l’œuvre de Dib : L’amour (puissant, fort, beau, fou ; il devient objet des réflexions philosophiques et métaphysiques, la femme sublime qui est au cœur de l’univers). Le désert (un lieu poétique, onirique, mystique, vide et plénitude ; relation « Désert et Signe » : Toute une école des années 70-80 en Algérie). Elle cita Ibn Arabi afin de souligner la vision universaliste de Dib : l’œuvre, Les conquêtes Mecquoises, est bien présente dans l’œuvre de Dib Le sommeil d’Eve.

Elle parla de la relation de Dib entre la peinture, la musique, la danse : Son style varié est symbole vif de la chorégraphie. Un exemple de cette relation avec l’art se trouve dans la postface de Qui se souvient de la mer (qui parle des atrocités de la guerre) où il y a un parallèle très claire avec le « Guernica » de notre peintre espagnol Picasso. Elle a donné aussi des exemples des structures architectoniques de la ville: la ville labyrinthique qui rappelle la structure de Maisonseul et la ville nouvelle comme une oeuvre d’art (exemple de Max Ernest).

Entre le sacré et le profane : Da'wa ila al-tafahum (Appel à l'entente)
Hammamet, 5-7 avril 2002

Colloque International, les 5-6-7 avril, 2002, organisé par l'Université de Tunis à Hammamet :
« Entre le sacré et le profane:
Da'wa ila al-tafahum (Appel à l'entente) »

in Zlitini-Fitouri, Sonia, "Le sacré et le prophane dans les littératures de langue française", Bordeaux/Tunis, Presses universitaires de Bordeaux/Sud éditions, 2006.

Leonor Merino
Drª de la Universidad Autónoma de Madrid

"L'homme de Dieu est au-delà de la religion"
Ibn Arabi
"Amener la jouissance à un seul coeur
c'est mieux que de construire mille temples."

Abu Said


PRÉSENTATION

De par les liens profonds qui m'attachent au Maghreb et l'intérêt que je porte à sa littérature, j'ai osé accepter de m'exprimer sur un domaine difficile autant que délicat - domaine que je voudrais faire mien car il n'y a pas de recherche sans engagement.

J'aimerais donc remercier le Groupe de Recherches sur les Littératures de Langue Française, de m'accorder cette possibilité du droit qu'a tout être humain d'interroger ceux qu'il rencontre sur ce qu'ils croient ou ne croient point.

L'esprit féru d'Al-Andalous, ce creuset de cultures et symbole jadis de l'union de l'Orient et de l'Occident, je me plonge dans le débat, tout en respectant la spécificité des authentiques racines arabo-islamiques et aussi avec la prudence nécessaire quand on parle de la religion ou de l'Islam. Mais il faut signaler que dans ces littératures, qui se sont exprimées dans des contextes politiques, culturels et sociaux très changeants, il y a d'autres sensibilités comme le christianisme [1] et le judaïsme[2]. Cependant, ce sont les écrivains musulmans, croyants et non-croyants, qui seront étudiés dans cette communication où nous trouverons d'abord, ceux pour qui la religion est agressée et ensuite, d'autres pour lesquels la religion est libératrice.



DIALECTIQUE DU MALHEUR OU LE DÉSENCHANTEMENT

Je commencerai en disant que, dans une certaine pensée arabe contemporaine, l'évocation du passé appelle toujours, soit le souvenir blessant de l'obstruction de l'identité culturelle par l'effraction coloniale, sa querelle (surtout en Algérie[3] : elle a failli perdre son âme), soit "celui peu décanté d'un Islam que la mémoire et l'orgueil ont encore beaucoup de difficultés à restituer dans sa véritable signification"[4] : Parce que "quand on propose au monde arabe la redoutable alternative d'un choix entre la persistance de l'Islam et la fidélité au passé d'une part, la voie hardie du futur et du renouvellement d'autre part, on l'enferme du même coup dans une dialectique du malheur"[5].

Le caractère presque litotique de ce rappel invite à s'interroger - si peu que ce soit - non seulement sur les contenus pratiques du passé hérité mais sur les bénéfices, non encore répertoriés, du présent vécu d'une manière immanente.

Selon le syrien Muhammad Shahrur: "La patrie arabe consiste en des peuples qui sont encore retardés, malgré l'abondance de leurs licenciés universitaires. La cause réside chez l'arabe instruit qui vit la schizophrénie entre les modèles de réflexion de la vie quotidienne et les règles de réflexion scientifique, qui sont complètement différentes à ceux-là. Mais ce malaise arrive aussi parmi les licenciés arabes des universités qui ne sont pas arabes"[6].

On dirait que le XXème siècle arabe aurait été traversé par cette tension: "l'Occident tant abhorré et néanmoins séduisant [...] et le retour à un état originaire censé contenir l'essence de la nation"[7].

Peut-être certains écrivains maghrébins sont-ils restés aussi tiraillés entre une reconnaissance de l'efficience logistique passée à l'Islam et ses manières présentes d'alourdir la marche vers le progrès ambiant[8]. Comme un échantillon parmi ces écrivains: Khatibi[9], Bencheikh[10], Laâbi[11] ou Berrada[12] se sont posés l'état présent de la culture arabe entre fidélité au passé, tentations modernistes et, même radicales fractures épistémologiques[13].

Du côté de l'intelligentsia arabe bien modérée, comme Abdallah Laroui et Hichem Djaït, il suffit de relever leur persistance -spécifique à chaque penseur- où l'Islam et la colonisation semblent interférer.

En conséquence, on dirait qu'il y a, chez certains intellectuels, une sorte d'amertume socio-historique, de rapports polémiques entre le passé et le présent insistant : "une altercation douloureuse dont les composantes dynamiques ne sont guère faciles à équilibrer ou à monnayer en termes de praxis salvatrices sans arrière-pensées"[14].



UNE RÉPONSE SINGULIÈRE À L'EXISTENCE

En effet, s'interroger sur la place du sacré, dans certains romans de la littérature Maghrébine en langue française, c'est vérifier jusqu'à quel point certains écrivains s'étaient éloignés des valeurs véhiculées par l'Islam au Maghreb. D'autre part, dans cette "anarchie" culturelle islamique, on a souvent pensé y découvrir un aspect positif, c'est-à-dire l'amorce d'une désacralisation de l'écriture -le français étant une langue profane-. On a donc pensé que la transgression des interdits et des tabous étaient plus faciles à aborder dans la langue étrangère.

Peut-être cette théorie mériterait-elle d'être nuancée car si une "solidarité des voix féminines en langue arabe/française secoue le Maroc et arrache les masques"[15], en Tunisie, une écriture en arabe montre qu'elle lutte aussi par la liberté d'expression, contre l'injustice sociale avec une importante innovation linguistique[16]. Mais il est aussi certain que quelques écrivains, craignant "les reproches" des leurs, "s'exilent" dans la langue étrangère (un acte de l'intelligence et de l'exigence dans l'écriture) et même de leur terre (l'aimée n'est-elle pas plus appréciée dans le lointain ?).

Mais le fait d'écrire en français dans l'ensemble, et actuellement, répond-il encore à l'urgence de quelque "dénonciation" ou bien à s'ouvrir plus universellement ? Bref, écrire en français permet-il de sauter les barrières des clivages socio-politiques et religieux ? Cette écriture, est-elle la brèche de la complicité creusée dans le mur aveugle des séparations ?

Ce qui est bien certain, c'est que dans une époque où l'Islam se parait du prestige de la féroce résistance à une politique de dépersonnalisation du colonisateur, il y coexistait une idéologie laïque trop fréquente chez ces écrivains maghrébins "donné[s] au mécréant"[17]. En effet, en s'opposant aux temps où il fallait montrer à l'autre "la volonté de re-personnalisation de l'Islam en tant que discours socio-politico-culturel"[18], pendant les années avant les indépendances et après la guerre d'indépendance algérienne la dérision et l'iconoclasme s'accentuent. On aurait dit qu'on retirait les gants pour parler du sacré.

Aussi si on trouve dans ces premières écritures de dénonciation quelque "perversité", ne serait-ce pas en quelque sorte le moyen qui permet de poursuivre un but ? C'est donc le monde des fentes, des serrures, de ce qui se cache, de ce qu'il faut atteindre tout en se cachant soi-même. Tout ce monde de corridors, de portes qui s'ouvrent, du secret qui fascine. C'est aussi l'appel du celé, du voilé, car la littérature jaillit toujours quand on se formule des questions sur ce qui est en train de se passer ou d'arriver[19]. Alors cette écriture laïque s'accompagne, nécessairement, d'une violation des tabous dans laquelle le "coupable" puise la sombre jouissance des plaisirs défendus.

Les textes en main, il faudrait remonter au pur ritualisme de ces vieux d'une mentalité naïve ou anti-moderne, qui -au moment d'aller prier à la mosquée- "ont l'air d'appartenir à un siècle révolu"[20]. Et, tout en étant dans l'Islamité, on va se poser des questions: "A Dieu vat. Pour autant qu'il existe"[21]. Exigence aussi de vérité, rejet des faux-semblants, avec des confessions qui ont choqué des croyants -même cette communicante, lors de sa traduction du Passé Simple[22].

On connaît aussi la dénonciation sur l'Islam comme "un alibi permanent"[23]. Et l'affirmation que dans l'éducation "ont a tout mélangé: la morale, l'Islam, les critères politiques, les convenances bourgeoises"[24]. C'est ainsi que le malaise et le soupçon se sont installés, et "qu'on s'éloigne insensiblement du sacré", car, définitivement, si les fillettes étaient "dressées à l'obéissance du mâle", il y a aussi "le même sentiment de crainte et de soumission résignée que les croyants éprouvent à l'égard de la divinité"[25].

Alors un poète marocain s'est demandé: "Dieu nous a-t-il abandonné?"[26] Plus tard, un regretté et honnête écrivain kabyle, ironise sur la religion et ne veut plus vivre dans l'hypocrisie des villages ankylosés[27]. D'autres auteurs, frottés de modernisme, sont influencés par le laïcisme ou le marxisme -qui semblait être l'une des voies de redressement pluridimensionnel les plus salvatrices-, comme Khaïr-Eddine dont l'œuvre se présente comme un théâtre d'immolation de toutes les valeurs dites sûres: tradition, famille, religion. Et de même que la plupart des autobiographes maghrébins se pressent de faire mourir leurs pères, aussi presque tous les auteurs ont décrit l'école coranique: Nul, en termes généraux, n'en garde un beau souvenir et on ressent "le rejet de l'arbre de l'enfance"[28].

Le malaise à l'égard de cette religion -considérée comme un édifice vermoulu- s'installe comme si l'on ne pourrait entrevoir la fin d'une altercation protéique avec le propre passé, tant au niveau des positivités culturelles bien potentielles, qu'à celui des pesanteurs héritées, que les différentes effractions coloniales ont, à leur tour, rendues plus difficilement acceptables dans leur totalité.

C'est ainsi qu'on a entendu dire, "Je me moque du diable et de Dieu", et ajouter, hardiment: "il est bon que le peuple croie en Dieu. S'il n'existait pas, il faudrait l'inventer"[29]. Kamel Waëd -un autre personnage central- ne voit dans la religion que comédie[30], puisqu'on veut anesthésier le peuple en se servant du Coran et de l'Islam[31].

Et le pèlerinage à la Mecque n'est qu'"une foire annuelle patronnée par Dieu" pour le grand texte fondateur algérien d'avant l'indépendance[32]. Le bon Dieu est en même temps le père abhorré et Dieu lui-même[33]. Et encore: "Ma mère ne sait ni lire ni écrire [...] Elle est seule face à la conspiration du mâle allié aux mouches et à Dieu"[34].

Boudjedra, très critique à l'égard de la religion, avoue dans son œuvre récente: "Le Sahara n'est pas un désert. Il y a là des mosquées où les escaliers ne mènent nulle part, pas même à Dieu [...] Mais où est Dieu ? Nulle part"[35].

Encore un poète syrien-libanais, Ahmad Saïd Esber, l'a-t-il aussi laissé dire, d'une manière plus tranchante, impitoyable tout en maniant le perceur du symbole: "Comment allons-nous défendre l'existence avec des êtres inexistants?"[36] Mais la critique de la vie religieuse musulmane, on l'avait déjà constatée au début du XXème siècle, car le jeune Mamoun "n'a rien de musulman"[37]: Son regard s'était dirigé vers le français, mais, mal reçu par l'autre, il retourna mourir, chez son père, en musulman.



UNE PULSION OBSÉDANTE

Bien que les commentaires dans ce domaine doivent rester prudents ou du moins on ne doit pas oublier la subjectivité qui les sous-tend, on ne peut pas oublier -dans ces voix "vitupératrices"- la douleur "iconoclaste", la détresse et le dégoût qui exacerbent la création de certains romans, où l'on introduit aussi une subversion dans la langue. Mais ladite subversion essaye aussi d'apprendre aux hommes à se regarder, à échanger des regards: Une subversion cosmique et pas forcément conjoncturelle.

Certains écrivains maintiennent une relation radicale et innovatrice avec sa réalité sociale et culturelle. Dans ce sens ils ont été des perturbateurs, comme continue à l'être -nuancé par l'humour- le plus grand "enfant terrible" et en même temps l'"ancêtre" de cette littérature[38].

Aussi ce retour qui caractérise dans l'œuvre dibienne, La Danse du roi[39], Habel[40] et Les Terrasses d'orsol[41], devient-il rendez-vous avec le crime et la mort. Le créateur invente l'homme libre, veut rêver d'une façon d'aimer, enfin, il rêve d'un bonheur, découvre une certaine relation avec la mort.

Mais c'est surtout le suicide "fantasmatique" qui déconcerte le plus: Une grave transgression de la loi islamique qui dit que seulement Dieu a le pouvoir de donner la vie et la mort à ses créatures. Car le principe de la vie ou l'instinct de vie ou l'amour de la vie est un élément sacré dans l'Islam. Ce principe de vie permet l'intégration psycho-socio-culturelle du passé, du présent et du futur. Ces notions de temps sont des éléments sacrés constitutifs de l'existence ontologique de l'être humain en tant qu'être temporel. C'est ainsi que la mort volontaire -mort "fantasmatique"- de la mère de Driss Ferdi[42] pose un problème moral qui l'accuse, la condamne, et qui apparaît aussi comme un grand défi à tout pouvoir extérieur.

Dans le suicide d'Arezki il y a du fatalisme, même s'il faut agir subtilement pour échapper au courant dangereux: "Si Dieu a écrit sur ton front que tu dois mourir dans la rivière, tu y mourras"[43].

Un autre héros, Khaled, avoue avant de se suicider: "Il faut descendre jusqu'aux enfers, Dieu mon Dieu, je vous en supplie, surtout ne regardez pas"[44].

Habel est aussi attiré par le mystère de la mort tout entourée d'une parole "intolérante et furieuse": Dieu ordonna aux univers de s'écarter et de découvrir la mort pour que je la voie [...] Et Dieu dit: "C'est elle. Je l'ai créée"[45].

Le triste et cosmopolite personnage de Brandy Fax, toujours en migration, son itinéraire mène à La mort de Salah Baye[46]. Et le poème dramatique du "Vautour"[47] prolonge le thème personnel jusqu'à la tentation d'un suicide comme point culminant de la névrose de l'exil.

Finalement, c'est Dieu qui va se suicider: "Dieu qui créâtes le monde/ À votre propre image/ Regardez le monde". Alors Il l'a regardé et "Dieu s'est suicidé. [...] Et le Ciel ne répondait toujours pas"[48].

Disparition, passage obligé par une migration ailleurs, la mort est un élément essentiel dans la recherche intérieure, celui de ces écrivains qui ont su ciseler leurs écritures dans la lumière qui baigne leur monde. Ils ont su dire leur passion pour leur terre -même en la critiquant violemment-, et ils ont appris à habiter le monde comme la grande patrie de tous: leur écriture au-delà des contingences de l'histoire.

C'est pourquoi certains intellectuels arabes ont centré le débat concernant la culture sur le retour au passé, avec sa composante islamique, et l'incantation d'un futur à définir. Donc, en général, chez les écrivains, une fois dominé leur propre présent, jaillira le besoin du retour au passé, de ressusciter leurs racines, sans lesquelles toute incantation vers un futur se révélerait arbitraire. Et Hichem Djaït de dire: si l'homme arabe se libérait de ces tendances négatives, il pourrait partager sa générosité, sa spontanéité chaleureuse, sa conception d'un humanisme solidaire. Et René Habachi d'inviter donc à en faire l'objet de convertibilités historiques-culturelles moins angoissées[49].



L'ISLAM APPELLE À LA VIE

La langue liturgique dans les pays islamisés est l'Arabe, la langue du Coran (XII, 2), Livre -Texte Fondateur: Umm-Al-Kitab[50] - qui n'est pas seulement la parole directe de Dieu transcrite par les hommes, il est en plus Son Écrit (XXXIX, 23). Les forts liens de l'Arabe classique avec le Livre Sacré lui ont conféré en toute logique quelque chose de divin. Le Coran est donc le dogme de la foi religieuse, mais il est aussi une constitution civile, et tout cela dans l'esprit d'un génie, d'un personnage formidable dont personne et pour toujours ne mettra en doute l'existence historique[51]. Car si le monde arabe ne constitue pas un ensemble plein en ce qui concerne l'unité matérielle -à cause peut-être de l'hégémonie extérieure impérialiste-, cependant il le constitue dans le spirituel et le culturel.

La philosophie musulmane, surtout celle qui est empreinte de mysticisme, n'est pas une philosophie de l'être, comme celle prévalant en Occident, mais une dimension prophétique: le devenir possible, en opposition avec le rationalisme des Grecs, développé par Occident, qui a été à la source d'une grave mutilation spirituelle de l'homme. L'Islam se veut din wa dunya, c'est-à-dire "une régulation entre une idéalité ressortissant à la philosophie des religions et un ensemble factuel ressortissant aux sciences sociales"[52].

L'Islam, qui veut dire soumission et obéissance au Créateur, est la religion de la modération: "L'Islam est la condition humaine équilibrée en fonction de l'absolu, dans l'âme comme dans la société"[53]. Rejetant toute contrainte, il fait un effort de synthèse, voulue et constante, entre la nature et l'absolu dont l'homme a besoin. Tout en disant -cherchant- cet absolu il s'éloigne du désespoir, de la réification. Donc dans ce contexte d'absolu, l'écrivain, le poète, qui est toujours au-delà des mots, lutte pour inventer des images nouvelles où l'homme sera heureux de se reconnaître.

Je ne voudrais pas ici engager une discussion théorique du concept du sacré, mais on devrait préciser que l'homme a instauré le sacré bien avant l'arrivée des religions qui l'ont institutionnalisé par la suite, car peut-être tomberait-on dans une totale simplification qui attribuerait à la "religion" -le bouc émissaire- tous les maux dont souffre la société.

On pourrait dire que, pour les musulmans, un élément sacré est une amana, un bien que Dieu a déposé chez eux dû à sa Grâce et qu'Il pourra reprendre quand Il veut. Donc, l'essence de l'Islam est dans la signification littérale du mot, qui est sa soumission constante aux éléments du Sacré.



L'ISLAM UNE RELIGION DE FOI

Dans une société où l'Islam est partout présent, il est impossible que les romans ne véhiculent pas des éléments religieux et des formules de politesse échangées par les personnages, croyants ou non. En conséquence, devant ce raz-de-marée de l'incroyance, la langue française paraît aussi servir de pont entre le profane et le sacré et au retour à l'Islam originel, primitif, servant à une écriture "mystique".

Sans désirer confondre le soufisme avec le mysticisme qui vient du terme mystère, dans ces littératures Maghrébines existent une tendance "mystique" -si l'on permet d'appeler ainsi ce pèlerinage religieux ou spirituel. En effet, certains écrivains nourrissent leurs écritures à partir des pérégrinations de certains soufis, pour ne citer que Bekri[54] ou Meddeb[55] avec une prédilection affichée pour la pensée et l'imaginaire de mystiques islamiques: Une plainte murmurante où souffle un vent de prophétie. Bien qu'il fallût dire, en même temps, que ces écrivains vont derrière les traces du passé glorieux afin de jeter un discrédit sur un présent inhospitalier.

Et si l'on a souvent parlé d'un pèlerinage païen chez Bourboune, on y trouve aussi une forte charge d'hermétisme et surtout de "mystique" islamique dont la semence est prête à germer[56].

Donner à connaître l'Islam à travers la psychologie, la mentalité et les émotions d'une personne qui a la foi, ce sont les allusions à Mohammed, par exemple, qui montrent bien comment la pensée est marquée par l'Islam dans les personnages des "Boucs", où même les plus frustrés d'entre eux sont profondément bouleversés lorsqu'ils entendent psalmodier une sourate ou un simple verset. Ils acceptent ce qu'ils croient venir de Dieu -leur misère, leur désarroi- bien qu'une lueur d'espoir se laisse entrevoir[57]. Et "en dépit de cet immense héritage d'incrédulité", encore la voix du chantre du Coran résonne dans Le Cantique des Morts[58].

Tout en fonctionnant comme une mémoire vive, L'Homme du Livre[59] revit la journée du 26 de Ramadan de l'année 610, précédente à la Révélation; et La Mère du printemps et Naissance à l'aube[60] retracent les origines de l'Islam au Maghreb: Il y est représenté comme un générateur d'histoire, et même de poésie. Chraïbi nous invite -musulmans ou non- à une relecture des origines de l'Islam dans l'Espagne musulmane, à la réflexion sur sa place dans le Maghreb, d'hier et d'aujourd'hui.

Cet universalisme, qui dépasse les divisions de classe, est aussi bien recueilli dans les troupes du général Oqba ("de constitution fragile" témoigne bien que sa force est en Dieu) qui "se mélangent aux Berbères, par le sang, pour fonder une seule et même tribu, la Oumma comme ils l'appellent"[61]. Cette Oumma qui, par sa nature-même intégrante, transcende l'individu, la tribu, la race.

Malek Haddad a aussi décrit ses tendances d'intériorisation de l'Islam. Il veut un Dieu ami des hommes aimant la nature[62].

Dans Le Village des asphodèles d'Ali Boumahdi[63], un simple meunier provoque l'imam -qui ne fait guère d'effort pour formuler la foi en termes acceptables- à un appel à l'ijtihad[64] en faveur d'une foi vivante.

Puisque le croyant fait partie du nous où la foi des uns peut s'opposer à l'athéisme des autres, dit l'intellectuel marocain, Mohamed Aziz Lahbabi -formé en Europe mais qui a au Maghreb le référant à son attitude réformiste. Il découvre un terrain d'entente dans le "personnalisme" qui devient chez lui une philosophie humaniste, retrouvant le contact avec autrui, tout en revendiquant la dignité de la personne dans le domaine ontologique, épistémologique, moral et social, face aux négations que les systèmes matérialistes font de celle-là. Cherchant donc le retour à l'Islam originel: La réflexion sur les nouvelles relations entre les notions de personne et d'individu que l'Islam a introduit dès ses débuts.

Lahbabi s'efforce de préciser ce qui unit et distingue l'être de la personne[65], celle-ci comprise comme pouvoir de synthèse entre le moi, qui passe de l'être à la conscience et l'organisation sociale qui protège le moi et, en même temps, est protégée par lui. Mais il signale aussi la nécessité d'une garantie afin que cette relation interpersonnelle acquière de la consistance. Pour le musulman cette garantie est la présence divine dans l'acte de l'affirmation que le croyant fait de celle-ci, c'est-à-dire dans l'acte du témoignage de la Chahâda[66]. À travers elle, le croyant ne s'oppose pas à Dieu mais il se met en relation avec Lui[67].

Peut-être dans cet esprit de la Foi -qui est confiance- faut-il puiser, afin d'éviter les intolérances et rejeter tous les anathèmes dans un dialogue où chaque homme doit approfondir le contact fraternel de l'autre: Car l'homme se connaît au fur et à mesure qu'il aménage à "l'autre" une place dans son identité. Le moi, saisi comme placé dans l'univers et comme solidaire avec d'autres moi, il est saisi comme nous[68]. C'est que le Coran -qui est le cœur de l'Islam- nous dit: Pour transformer le monde, il faut, préalablement, se transformer soi-même (VIII, 53/30; XIII, 11). Cette visée universaliste veut ancrer dans un nouveau rapport de l'homme à la Nature, à ses semblables au divin, veut puiser aux sources de l'Islam des éléments qui paraissent essentiels.



L'APPEL À L'ENTENTE

S'il est vrai que Dieu est en procès avec la parole laïque, marxiste -comme une tentative de désaliéner l'homme- dans les littératures Maghrébines, et cela dès ses origines, il y a aussi une sacralisation des romans investis du message de l'ijtihad.

Dans ces ouvrages "contestataires", les auteurs, en général, n'ont pas nié l'héritage spirituel islamique dont doit s'enorgueillir le monde arabe: Ils ont fait des allusions à leur littérature, à leur histoire, à leur philosophie, à leurs mythes. On croirait, prenant du recul, que les auteurs remettaient tout en question en disant que le progrès était nécessaire même si ce n'était que partiellement "iconoclaste", et c'est à ce prix qu'il accorderait ses avantages.

Revenant à la récente œuvre de Boudjedra citée plus haut -malgré son athéisme et sans que cela paraisse paradoxal-, il a aussi l'influence primordiale du texte coranique sur cette oeuvre poétique et plus spécialement des sourates de La Mecque dont il célèbre la beauté et la modernité. Peut-être faudrait-il retourner à la source de l'homme, à une projection sur l'avenir dans une pensée universelle loin de la mythification ou de la récusation du passé?

À ce moment l'exemple de Cervantes vient à mon esprit: Il pensait que chez l'homme il y avait quelque chose d'indestructible, une dignité qui, probablement, lui venait du fait de reconnaître qu'il allait échouer. Mais ces personnages, qui étaient toujours ouverts au plus troublé, ils l'étaient aussi au monde de la lumière, de la splendeur, de la rencontre, ouverts à cette croyance où tout est possible même s'il ne le paraît pas. Il faudrait allumer constamment de modestes lampes à huile entre le sacré et le profane -deux conceptions coexistantes dans le coeur humain- tout le long de cet obscur passage qui court entre votre Orient et notre Occident.

Mais l'Orient, en tant que creuset permanent d'arabité, ne devrait pas reconsidérer les modèles occidentaux comme des essences chosifiées de progrès, mais en tant que paradigmes d'une restauration possible: L'ouverture de la connaissance, à partir de l'Islam, avec des façons de penser forains qui n'impliquent ni l'abandon de la conscience des propres origines, ni de s'élever à partir de sa propre réalité.

Vivement que, plus loin de la mode matérialiste et de son ambiguïté inhérente, les femmes/les hommes puissent trouver du vrai pain pour leurs faims, de l'eau pour leurs angoisses, incertitudes et quiproquos, surtout dans cette époque de marchands que nous avons à vivre. Inch'Allah.



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[1] Fadhma Aït Mansour Amrouche et ses fils, Jean et Taos Amrouche. Malek Ouary, Henri Kréa (pseudonyme de Cachin), Mohammed Haddadi, Jean Sénac (avec des réminiscences littéraires de notre poète espagnol Federico García Lorca) et, en Tunisie, Hachemi Baccouche dont les romans humanistes cherchent les "liens spirituels" avec l'Autre.
[2] Parmi d'autres, au Maghreb, Albert Memmi et Edmon Amram El Maleh.
[3] Préalablement à toute autre forme de considération, une quelconque forme de colonialisme est immorale, quoiqu'elle soit la plus progressiste au niveau matériel et la plus codifiée au niveau social.
[4] Mohamed Boughali, "La création intellectuelle dans le monde arabe", Lamalif (Casablanca) nº 155 avril, 1980, p. 51.
[5] Hichem Djaït, La personnalité et le devenir arabo-islamique, Paris, Le Seuil, 1974, p. 126.
[6] Pedro Martínez Montávez, El reto del Islam. La larga crisis del mundo árabe contemporáneo, Temas de Hoy, Madrid, 1997, p. 21.
[7] François Zabbal, "Désenchentement", Qantara (Paris) nº 34 hiver, 2000, p. 27.
[8] "L'intelectuel maghrébin francisé [...] obsédé par les modèles culturels français, [...] redoutant qu'il soit un jour submergé par un Orient fantasmatique et barbare, il est prisonnier d'une attitude irréaliste, pessimiste et passive": Hichem Djaït, op., cit., p. 99.
[9] Le scepticisme radical peut mettre en cause toute volonté d'évolution avec autrui, vain désir de saisir "l'image ondoyante de l'Autre, contradiction d'agression et d'amour" (La Mémoire tatouée, 1971, p. 15 ). Donc guérir pour dire la différence: Khatibi revendique une différence intrataible (un dialogue avec Kierkegaard, Derrida, Foucault, Blanchot).
[10] "La critique actuelle, dans le monde arabe, où toutes les revues parlent de sa crise, est en face d'une situation où l'écriture est en gésine, en perturbation", dit ce chercheur et poète algérien notamment de Poètique arabe (1975) et de recueils très maîtrisés, ainsi que de Le rationalisme d'Ibn Khaldun (1965) et Diwan algérien (1967).
[11] Il avait opté par un "messianisme" généreux sur une double rupture avec le présent et le passé: Samira Mounir, "Laâbi ou le nouveau messianisme", Lamalif, Casablanca, décembre, 1970.
[12] "J'ai vécu dans une société qui n'a pas bénéficié des conditions lui permettant de s'intégrer dans le XXè siécle. Il y eut bien des obstacles: l'impérialisme, le pouvoir absolu, après l'indépendance, la domination de la culture passéiste, la chute des idées de révolution et de changement, s'achevant par des ruines qu'il ne sert à rien de pleurer ou de réévaluer par des espoirs mensongers", Qantara, cit., p. 40.
[13] "Qu'avons nous fait, nous des marocains et des arabes, pour avoir donné motif à la colonisation?", Driss Chraïbi, Souffles (Rabat) (spécial Chraïbi, pp. 4-21) nº 5, 1967, p. 5.
[14] Mohamed Boughali, Lamalif, cit.
[15] Ma communication au dernier Colloque (15 novembre 2001) du Groupe de Recherches Femmes et Création (GREFEC), Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, Casablanca Aïn-Chock, Maroc.
[16] Ridha Kefi, Al'kina tahta al jeld (Le masque sous la peau). Aroussia al-Nalouti, Tamass (La touche) et Maratich (Cerrojos: trad. espagnole; Madrid, CantArabia). Alya Tabii, Zahr as-sabbar (Fleur de cactus). Amal Mokhtar, 'ala nakhab'il hayat (À la santé de la vie). Et les douce récits traduits à l'espagnol dans Voces de mujer desde Túnez (Madrid, Talasa Ediciones, 1994): Naïma al-Sid: "El paso" et "El desafío". Hayat ben al-Shayj: "La amante del Sultán" et "Quizá mañana". Nafila Dhahab: "¡Yuhà... Ay, Yuhà!", "La carta que no llegó", "La ciudad se está hundiendo" et "Un nuevo Vivaldi". Aroussia al-Nalouti: "¡Hasta las tumbas, Equis, se niegan a escuchar!", "La otra cara del documento", "¡El hombre que nunca escribía!" et "No me des pescado enséñame a pescar".
[17] Abdelkébir Khatibi, La Mémoire taouée, cit., p. 16.
[18] Mohamed Arkoun, Pour une critique de la raison islamique, Paris, Maisonneuve&Larose, 1984, p. 101.
[19] Mais ce qui fait l'excellent des grandes histoires c'est qu'elles ont de zones de silence.
[20] Mouloud Feraoun, Le fils du pauvre, Paris, Le Seuil, 1954. p. 14.
[21] Mouloud Feraoun, Lettre à ses amis, Paris, Le Seuil, 1969, p. 100.
[22] El Pasado Simple, Madrid, del Oriente y del Mediterráneo, 1994. Mon introduction et un glossaire.
[23] Rachid Boudjedra, La Répudiation, Paris, Denoël, 1969, p. 168.
[24] Assia Djebar, Les Alouettes naïves, Paris, Julliard, 1967, p. 296.
[25] Mohammed Khaïr-Eddine, Légende et vie d'Agoun'chich, Paris, Le Seuil, 1984, pp. 15 et 44.
[26] Abdelouahed Atoubi, Les Questions ou l'Hymne au Tiers-Monde, sl. Éd. Maghrébines, Casablanca, 1972, p. 25.
[27] Tahar Djaout, Les chercheurs d'os, Paris, Le Seuil, 1984.
[28] Khatibi, A. La mémoire tatouée,op., cit., p. 57. Il y en a des exceptions: La Statue de sel (A. Memmi), Le fils du pauvre (M. Feraoun), La boîte à merveilles (M. Sefrioui).
[29] Mouloud Mammeri, Le sommeil du juste, Paris, Plon, 1955, pp. 9 et 98.
[30] Mohammed Dib, Dieu en Barbarie, Paris, Le Seuil, 1970, pp. 200-201.
[31] Mouloud Mammeri, L'Opium et le bâton, Paris, Plon, 1965.
[32] Kateb Yacine, Nedjma, Paris, Le Seuil, 1956, p. 120.
[33] Pour Khaïr-Eddine (L'Histoire d'un bon Dieu, Paris, Le Seuil, 1968) et pour Khatibi (La Mémoire tatouée, cit.).
[34] Rachid Boudjedra, La Répudiation, cit., p. 39.
[35] Cinq fragments, Alger, Barzakh, 2001, pp. 57 et 84.
[36] Pedro Martínez Montávez, El reto del Islam, cit., p. 21
[37] Choukri Khodja (Ramdane Hassan Khodja), Mamoun l'ébauche d'un idéal, Paris, Radot, 1928, p. 32.
[38] Driss Chraïbi, Le Monde à côté, Paris, Denoël, 2001.
[39] Paris, Le Seuil, 1968.
[40] Paris, Le Seuil, 1977.
[41] Paris, Sindbad, 1985.
[42] Driss Chraïbi, Le Passé Simple, Paris, Denoël, 1954. Roman qui démonte les mécanismes de haine apparente, car l'essentiel est la figure de la mère.
[43] Mouloud Mameri, La Colline oubliée, Paris, Plon, 1952, p. 86.
[44] Malek Haddad, Le quai aux fleurs ne répond plus, Paris, Juillard, 1961, p. 184.
[45] Mohammed Dib, Habel, Paris, Le Seuil, 1977, p. 69.
[46] Nabile Farès, La mort de Salah Baye ou la vie obscure d'un Maghrébin, Paris, L'Harmattan, 1980.
[47] Kateb Yacine, Le Cercle des représailles, Paris, Le Seuil, 1959. Rééd., Coll. Points, Le Seuil, 1998. Introduction, Édouard Glissant: "Le chant profond de Kateb Yacine". Cette oeuvre contient, Le Cadavre encerclé, La Poudre d'intelligence, Les Ancêtres redoublent de férocité et un poème "Le vautour".
[48] Kamel Zebdi, Kyrielle, Impr. Nationale, 1966, pp. 22 et 38.
[49] Orient quel est ton Occident?, Paris, Le Centurion, 1979.
[50] Mohammed Arkoun, Lectures du Coran, Paris, Maisonneuve&Larose, 1982, p. 39.
[51] L'oeuvre (Descripción general del África, trad.: Serafin Fanjul) de J. Léon l'Africain (le grenadin Al Hassan ben Muhammad) ne manque pas d'attaques mis au grand jour à l'Islam et au Prophète Mohammed. Mais la virulence de ses allusions n'est pas convaincante, plutôt tout le contraire: elle renforce les doutes sur la sincérité de sa conversion au christianisme, après avoir été capturé par des pirates siciliens et offert au Papa León X (Giovanni de Médicis). Au plus forte raison quand il annonce qu'il retournera en terres de l'Islam, comme il paraît qu'il l'a accomplit, tout en assurant que ce retour serait, uniquement, possible en qualité de musulman.
[52] Jacques Berque, L'Islam au défi, Paris, Gallimard, 1980, p. 35.
[53] Frithjof Schuon, Comprendre l'Islam, Paris, Le Seuil, 1976, p. 41.
[54] Les Songes impatients, Montréal, L'Hexagone, 1997. Ma traduction avec mon Introduction: Los sueños impacientes, Madrid, Huerga&Fierro, 2002.
[55] Tombeau d'Ibn Arabi, Paris, Noël Blandin, 1987.
[56] "Le Muezzin ne déserte pas/Il avance dans cette aube couleur de soleil couchant […]/ il va faire l'annonce du futur retour de flamme": Mourad Bourboune, Le Muezzin, Paris, Christian Bourgois, 1968, p. 305.
[57] "Cette voix! […] la voix d'un cheikh chantant le Koran et qui lui rappelait qu'il fallait savoir mériter Dieu et qui lui affirmait qu'en regard du Créateur Sublime il n'avait pas souffert […] les civilisations crouleraient-elles, ce Livre et cette Loi demeureraient": Driss Chraïbi, Les Boucs, Paris, Denoël, 1955, pp. 140 et 176.
[58] "Misère est notre misère et périssables sont nos corps": Driss Chraïbi, Succession ouverte, Paris, Denoël, 1962, p. 122.
[59] Casablanca, Eddif/Balland, 1994.
[60] Paris, Le Seuil, 1982 et Paris, Le Seuil, 1986.
[61] La Mère du printemps, cit., p. 134.
[62] "Dieu n'est plus fait pour dédicacer la Bible ou le Coran, c'est l'homme de demain et l'homme c'est le Bon Dieu de bientôt": La Dernière impression, Paris, 1958, p. 162.
[63] Paris, Laffont, l970.
[64] Capacité d'adaptation à l'évolution: un creusement constant de réformulation.
[65] Le Personnalisme Musulman, Paris, P.U.F., 1964, p. 20.
[66] Pour affirmer qu'il n'y a pas d'autre Dieu qu'Ala.
[67] Le Personnalisme Musulman, op., cit., p. 24.
[68] Juan A. Pacheco Paniagua, "El pensamiento magrebí contemporáneo: Muhammad Aziz Lahbabi y el personalismo musulmán", El Magreb: coordenadas socioculturales, Carmelo P. Beltrán, Caridad R.-Almodóvar (eds.) Granada: Estudios Árabes contemporáneos, Universidad, 1995, p. 344.

Dans l’écriture tunisienne: la mélancolie bekrienne du passé dans sa volupté consolatrice universelle
GERMAT, 2001: Faculté des Lettres, Cité Riadh, Sousse (Tunisie)

Colloque International, GERMAT, 2001: Faculté des Lettres, Cité Riadh, Sousse (Tunisie): Publié dans l’ouvrage: TAHAR BEKRI. Sous la direction de Najib Redouane, París, L'Harmattan, 2003.
Leonor MERINO
(Drª Universidad Autónoma de Madrid)


ITINÉRAIRES D’ÉCRITURE

Nous parlons à partir des premières paroles, disait le poète Eluard dans son Anthologie des écrits sur l’art. Allant plus loin, on pourrait affirmer aussi qu’un écrivain est l’addition de deux sujets, de deux identités, qu’il est tantôt instance du discours quotidien, tantôt instance du discours artistique. Le conflit est dans le rapport entre les deux. Pour l’écrivain, ce fait est à l’origine de la lutte qu’il mène avec les clichés retors(1).

Donc, les auteurs d’origine étrangère ou bilingues sont très sensibles au cliché français et l’exploitent en le transformant ou en lui opposant leurs propres clichés qu’ils considèrent même comme une puissante richesse. Cet intérêt pour le cliché s’explique. Le discours stéréotypé constitue la norme qui règle le licite et le dicible. Tout écart de sa forme schématisée est interprété comme un acte subversif, comme un outrage, voire comme une “violence”.

Or pour les écrivains bilingues ou de double culture, arabe et française -surtout en Tunisie, plus qu’ailleurs -, qui ont appris l’arabe dit littéral ou classique en même temps que le français, en rentrant dans leurs maisons ils parlent l’arabe dialectal ( tunisien dans le cas de Tahar Bekri ), qui est en vérité la vraie langue maternelle. À ce bilinguisme s’ajoute la diglossie, cette tension sans drame entre l’arabe écrit et l’arabe parlé pour rendre l’enchevêtrement des niveaux linguistiques(2).

On dirait alors qu’entre l’une et les autres langues, une traduction permanente en filigrane bascule et un discours poétique en abîme est toujours latent. Et le rapport qu’entretient l’écriture littéraire avec l’oralité est fondé sur l’insuffisance du langage. Deux tendances se manifesent alors qui dirigent le sujet vers l’un ou l’autre des deux pôles d’attraction, vers la parole ou vers le mot. Un exil linguistique qui paraît nécessaire, car rien ne s’écrit sans être exilé du propre pays, langue, sexe, religion... partout où que l’on soit on peut être exilé même dans sa propre demeure, bien plus, dans son propre cœur même.

Donc, il y a une errance comprise d’abord dans le sens singulier de migration linguistique. Des proses et des vers attendris pour la réelle situation de l’écrivain qui vit loin de sa propre terre natale où il arrive pour le ressourcement. Être exilé n’a qu’un sens pour celui qui vit à l’intérieur exacerbé de la parole, habiter, parfois, une autre langue différente de la sienne propre.

Le cas de la Tunisie et du Maroc qui ont bénéficié du statut de “Protectorat” est tout à fait différent de celui de l’Algérie. Dans un sursaut de modernité tardif, la langue française fut introduite en Tunisie dès 1875, alors la colonisation s’installe en 1881, tandis que l'arabe en Algérie interdit à l’école publique lors de la colonisation n’a pas été sans conséquence sur la destruction la plus radicale de son identité. Derrière les graves et toujours récents événements politiques algériens, ce conflit entre les deux langues recupère sa réalité et son actualité dans les mots prononcés - Il y a plus de quarante ans - par Kateb Yacine qui pendant la guerre de libération ne cacha pas ses vrais sentiments concernant son recours à la langue française : La consécration de l’un de ces mariages entre des peuples et des civilisations qui sont encore dans les premiers fruits, les plus amers.

Plus récemment, le poète syro-libanais, Adonis - lors de son passage à Madrid, et pour lequel j’ai écrit de longs articles dans la presse espagnole(3) - disait: : Le poète est considéré comme le porte-parole et son choix est simple : être agent ou bien devenir la cible. Dans le monde arabe, rarement, il est possible de se maintenir éloigné. Il y a certainement des problèmes qui restent encore graves à poser... Mais on ne peut pas nier que les textes francophones soient chargés ainsi d’un nouveau rythme emprunté à l’arabe ou au berbère, avec un vocabulaire désignant la langue maternelle, des mot greffés sur le texte, un imaginaire volontairement voyageant entre deux ou même trois cultures.

Car les auteurs francophones sont, de plus en plus, à l’affût de l’essentiel et d’une certaine essentialité : des mémoires s’enchevêtrent pour aller à la rencontre de l’Autre, pour adoucir les frontières humaines embourbées dans toutes sortes de nationalismes destructeurs, de toutes natures. Car ceux-ci peuvent bien nous assurer dans nos propres ghettos mais qu'ils nous stérilisent c’est sûr, disait le regretté Mouloud Mammeri à mon ami Tahar Djaout (4). Et surtout car on ne peut utiliser une langue pour asservir un peuple ou même un individu. Par conséquent, ces auteurs maghrébins réclament leur droit à faire oeuvre d’écrivain, au-delà du biculturalisme ou du bilinguisme.

C’est la rencontre des écrivains avec ce que Kateb Yacine avait appelé les “ancêtres fondateurs” - afin d’y puiser un regard attentif au présent-, c’est la jouissance personnelle et c’est la propre richesse, grâce à l‘immersion dans sa première langue ( Chez les écrivains maghrébins d’écriture française comme Chraïbi, El Maleh, Khatibi, Tlili, Mellah, Meddeb, Béji, Djaout, Farès, Mechakra ...) fût-elle enracinée dans la marocanité, la judaïté, la berbérité... En même temps, pour Bekri l’emploi de la langue fraçaise est surtout une option délibérée, à côté de la langue arabe, langue sacrée et intouchable(5).



ORIGINALITÉ DANS UNE QUÊTE ESTHÉTIQUE

On ne peut pas nier tous les apports théoriques dans le domaine de la littérature, puisqu’ils sont immenses et incontestables mais à trop vouloir concevoir une oeuvre comme guidée par le sens, on la vide de son souffle et de sa profondeur. Doubrovski explique que le texte littéraire n’est pas un objet de science expérimentale à démembrer, émietter, dépecer, mais une métaphore d’un homme qui parle de l’homme aux hommes, avec un projet humain(6). Et Pontalis disait: Lire, ce n’est pas “analyser” un texte, tout au contraire c’est consentir à se laisser analyser par une parole autre, venue d’un autre espace, où la fiction est vérité(7). En conséquence, c’est dans le non-dit de l’oeuvre, dans ses contrastes, dans son désordre, dans ses méandres dans la connivence littéraire que réside son intensité.

Toute oeuvre d’un écrivain du Maghreb est - volontairement ou pas - un vrai document grâce aux valeurs explicites ou implicites qu'il transmet et qui, à travers la langue française, laisse écouler un imaginare spécifique, riche d’un subsconscient collectif de carrefours de plusieurs cultures, qui n’est pas seulement l’imaginaire français, riche aussi d’ancestrales intersections culturelles; mais il ne faut pas oublier que cette littérature - appelée maghrébine - est aussi la suite d'oeuvres dont la fonction n’est pas uniquement idéologique mais aussi esthétique, sociologique et psychanalytique à laquelle il faut ajouter son côté symbolique. Ce qui paraît important dans cette écriture est la confirmation d’une recherche originale dans la quête formelle et esthétique.

Tous ces ancrages dont les plus importants sont la référence à la culture arabo-musulamne très présente chez les écrivains tunisiens de langue arabe comme de langue française : des oeuvres inspirées dans des formes orales ou écrites, sont très nécessaires pour échaper à un régionalisme ambiant et réajuster les déséquilibres mais aussi pour apporter leurs propres formes, leurs propres rythmes, leur propre spécficité à la culture universelle.

Tout en me reportant à une partie de l’écriture tunisienne, la lecture du patrimoine maghrébin est éloquente en elle-même, car elle traduit sa vision particulière. Habib Boularès a rassemblé dans Le Temps d’ El Boraq, - Le temps de tous nos rêves et de toutes nos aspirations - et son avatar, la fusée interplanétaire, le passéisme, l’islam et le marxisme, l’attachement aux coutumes et la volonté de changement(8). Chems Nadir ( Mohammed Aziza ) reprend des contes de la tradition orale et de la littérature arabe classique(9).

Hafedh Djedidi plaide pour la rencontre à la croisée des identités et des cultures(10). Le discours de Noureddine El Abassy est fait de dialogues et de reparties sur la modernité et l’Islam, l’Occident et les autres(11). Fawzi Mellah imagine le déchiffrement de stèles puniques(12). Meddeb se révèle avec Talismano (13) qui n’est pas sans rejoindre les préoccupations de Khatibi au Maroc: l’intérêt pour la mémoire, l’identité et la différence, le travail sur l’écriture. Il s’agit pour le narrateur de dérouter la langue et de la mener au bord de sa limite.

Dans “sa” Phantasia (14) la forme y est apaisée mais le narrateur se situe toujours au carrefour des cultures et des langues. Plus tard il plonge son regard dans l’intériorité mystique, dans le soufisme(15). L’Oeil du jour (16) de Hélé Béji est le propre regard de l’auteur venu d’ailleurs, du monde de la modernité: enchantement/désenchantement. Hedi Bouraoui où à bien des égards le visuel et le poétique se recoupent [...] en un mot dialoguent(17). Encore, faut-il lire le judaïsme dans la vaste oeuvre d’Albert Memmi.

En résumé, ce retour à la littérature tunisenne est en fait un vrai départ dans l’écriture et la modernité. Ce va-et-vient désiré et obligé entre le passé et le présent crée en lui-même sa propre esthétique, ses propres formes littéraires ancrées dans la modernité. Les écrivains "malaxent " leurs héritages culturels, mythologiques, islamiques et occidentaux, pour en faire jaillir une parole neuve, un genre nouveau, voire fondateur. Cet écrvain, ce poète édifie avec son langage un monde - qui écrit, lit son propre patrimoine - par-dessus le vide, dans la pleine présence de l’existence.



ESPACES DE DÉCOUVERTE

Dans le cas de Bekri: une sérénité a créé un nouveau rapport d’amour avec la langue d’écriture, fût-elle celle de l’ancien colonisateur. Cette qualité universelle - ce reflet dans sa poésie - est l’essence de son écriture, héritière en même temps, de sa propre langue arabe et le souffle qui arrive d’autres mers. C’est pourquoi il se trouve à l'aise dans nos cultures occidentales. Son oeuvre de réflexion et de clairvoyance témoigne d’une quête patiente, d’une érudition maîtrisée, d’une vaste perspective et d’un renouvellement qui pose sans cesse de nouvelles questions. Bekri vit comme un poète partout où il va. Il est toujours chez lui, car il vit dans sa propre langue et dans sa poésie.

Mais que signifient les livres de poèmes de Bekri? Pour moi, ce sont les chants d’un homme, créature poétique, qui fait son propre chemin tout en marchant -ce que notre poète espagnol et universel, Antonio Machado, affirmait-; ce sont des paysages alambiqués, marquetés, qui sont l’âme impressionniste de la nation. Sa voix poétique, errante, est témoin de son feu intérieur. À chaque instant où il s’arrête, il transfigure l’objet extérieur, tout en donnant de la vie à ce qui est inanimé: des nuages, des étoiles, des vents qui se poursuivent, qui éclairent, inanimant ce qui est animé: des paupières, des lèvres, des mouettes, des palmeraies...(Les Songes impatients).

Ces poèmes crient avec un lyrisme éclatant tout en faisant le lien avec notre modernité à nous tous et surtout avec notre mutuelle culture hispano-arabo-islamique. C’est à l’andalou Boabdil qu’il fait référence. Il va aussi sur les traces de l’exil du grand poète et théologien Ibn Hazm de Cordoue, qui assembla les mots avec l’espace, dans notre temps commun partagé : l’Espagne musulmane du XI siècle, la décadence des Omeyyades et la montée de l’intolérance.

Des parcours qui nous permettent de réveiller - dans notre mémoire endormie - l’Histoire dans sa turbulence, dans sa complexité et dans ses orageuses difficultés. Ibn Hazm orphelin de l’être, se défait dans sa marche vers l’indicible, l’ineffable, et l’on écoute sa voix mythique et dolente par les blancs chemins de l’exil: Loin de toi ma lune jalouse mon Andalousie.

Cet exil pour Bekri est une résistance à la servitude, une quête de la dignité et une lutte pour la liberté. Le poète tragique Imrou’ul Qays dans l’Arabie pré-islamique, célébrant ainsi dans une belle qasida la création poétique arabe dans cette Arabie païenne (Le Chant du roi errant). Un exil dans la distance qui ramène et reconduit, au lieu de nous éloigner (Les Chapelets d’attache).



L’INDICIBLE

La poésie bekrienne est trouée de silences dont la ponctuation, la suspension ont une résonance où l’on sent le halètement de la parole dans le mouvement des mots.

Ces mots et ce silence constituent un infra-langage à partir duquel le poète élabore son discours propre qui, comme un rituel, exprime en même temps son identité et son altérité, et il garantit la communication du visible et de l’occulte.

Cette voix de l’auteur est une voix déléguée à un intermédiaire abstrait et une voix accompagnée d’autres, inventées, imaginées, accordées à des narrateurs et à des personnages, produisant un discours qui s’adresse à des interlocuteurs virtuels qui, devenus lecteurs réels, sont variables dans le temps et dans l’espace. Cette voix parle de l’autre, bien entendu, mais aussi de soi-même. C’est que l’écriture, en tant qu’acte, est dans son essence proche de l’oralité et de l’écoute. Comme la parole, elle opère aussi par le geste et le silence. Observer ces mouvements, c’est entrer dans l’intimité de cette écriture. Ou le plus souvent, dans la pratique, s’en approcher...

Comme la peinture, ce mot artistique est un arrêt, cette écriture une procédure qui fixe la parole et lui ôte les variations expressives. Ce mot privé d’une parole adverse, qui influerait sur l’énonciation, est un don à sens unique ou - tout en citant Bataille - un sacrifice au langage, une offrande, un holocauste. Ce mot est donc aussi abandon et l’écriture un déchirement, une déchirure, dont on retrouve souvent les cicatrices dans le discours. Des blancs intermittants dans une détresse de silence, parole et mot :



...
Plus tard

Il y aura la tyrannie de la nuit fière
Les souvenirs comme des épines rebelles
Les palmes vont et viennent sans secours
L’herbe sous ses pieds se mêlait à l’appel

Couverte de sa blesure, la tombe
(Les Songes impatients, p. 55).


Ce poète tunisien s'interroge sur le mystère de la poésie qui par ses secrets l’invitait à vivre le réel idéalisé, désiré, rêvé, aimé(18). Il faut ajouter que sa substance poétique est un chant d’une liberté absolue, une bouffée d’air frais et innovateur. La musicalité n’est déjà délimitée mais elle voltige avec des accords émis par la douleur, la joie, l’errance, la nostalgie... Toute cette misère et grandeur qui repose sur l’homme, sur le poète, en contact avec l’âme de la nation, une fontaine d’inépuisable vie. Le chant qui égrène sa poésie, tout en apercevant dans le lointain des paysages, est aussi le désir d’intertextualité que passionnent tous les méandres du vaste poème universel (Poèmes à Selma).


Le poète s’imprègne et se nourrit d’un arbre déployé en double généalogie: Dante, Goethe, Antonio Machado, Henri Michaux, Rûmi, l’aveugle al-Maarri...: des chants bibliques, une plainte murmurante de mystiques soufis où souffle un vent de prophétie.


Bekri structure ses oeuvres par des livres reliés par le fil conducteur du constant cours des choses, avec sa voix en pleine saveur de liberté. Avec cette matière, le poète essaie de doter l’oeuvre d’art d’une vision salvatrice, devant cette Mort dominatrice des niveaux imaginaires.


L’inspiration poétique bekrienne s’adapte parfaitement au poème bref, à cause de cela il emploie fréquemment celui qui oscille entre cinq et sept vers: ce qui encadre cet instant photographique qui apréhende son anima. Les poèmes qui sont d’une longueur plus grande, comme des préludes, préparent et suggèrent à l’oreille et à l’esprit de l’auditeur ce qui viendra ensuite comme un tout parfaitement noué. Des vers dans un perpétuel dessein pour expliquer le monde et pour dire l’errance, rivé tendrement aux origines, sans amertume:



Comme un derviche tourneur, il erra sur la terre,
elle tournait sur elle-même et lui aussi,
elle était sans limite, et lui aussi, de sa poitrine
il fit les océans, les rivages bannis, usure après
usure, l’érosion pour le duel (ibid., p. 23).

À chaque page poétique, un chant continu de rhapsode:



Dans les brumes jaunes, il sillonnait
les limbes de ses souvenirs, marcheur
inconsolable, les rapaces suspendus à ses paupières,
milans contre mouettes, la mer, toujours
la mer coupable de tant d’envols (p. 24).

Et l’écho répond à l’expressivité de sa voix:



la mer, toujours la mer, coupable de tant de lumière (p.28)


De nouveau l’écho répond au vertige de sa voix:


toujours la mer coupable de tant de naufrages (p. 30).


Encore l’écho répond-il à la suggestion de sa voix:



la mer toujours la mer ravissant la rumeur (p. 33).


La matière poétique pourTahar Bekri est surtout une création : cette alchimie psychique mystérieuse, cet instant fugitif d’hyperlucidité, dont l’éclat illumine la pénombre de l’inconscient et découvre un monde d’images latentes. Où l’on aperçoit tout un monde géographique d’anciennes cultures germinales (Le coeur rompu aux océans).

Chez cet homme - qui dégage une sérénité maîtrisée tout en assumant son bilinguisme, sa mélancolie et son errance en toute lucidité - se réalise que dans tout grand poème arabe est sous-jacent un autre second poème: sa langue d’émanation et d’explosion, pas une langue logique et de relation causale, mais des éclairs et des intuitions, des possibilités d’enlèvement mystique qu’on ne paraît pas trouver en français.

Sa poésie est comme l’Amour : nous ne pouvons aimer tout seuls. Il y a toujours dans l’amour deux personnes. Dans l’amour, l’Autre est une partie intégrante du Moi. De la même manière, la poésie a besoin de l’Autre, d’unifier le Moi avec l’Autre.

Presque toutes les formes d’expression créent des abîmes parmi les hommes, mais la poésie est un mot de paix, elle est plurielle, un point de rencontre, de liaison entre l’homme et le monde. Elle est un ferment pour l’unité des humains. Elle éclaire leurs chemins, leur fait découvrir des horizons infinis. Et dans cette relation amoureuse et universelle, Bekri plaide surtout en faveur de la création d’une nouvelle Alandalousie, un Andalous qui permettra que les extrêmes coexistent.

Nous, les enseignants, les chercheurs et surtout les poètes et les écrivains arabes et espagnols, nous tous enfin, devrons travailler afin que ce symbole andalou s’enracine.



BIBLIOGRAPHIE DE Tahar BEKRI

BEKRI, Tahar, L’oeuvre romanesque de Malek Haddad, Paris, L’Harmattan, 1986, 215 p. Essai.
BEKRI, Tahar, Littératures de Tunisie et du Maghreb, Paris, L’Harmattan, 1994, 254 p. Essai.
BEKRI, Tahar, De la littérature tunisienne et maghrébine, Paris, L’Harmattan, 1999, 134 p. Essai.
BEKRI, Tahar, Poèmes bilingues (litographies orig. : B. Lafabrie), Paris, Atelier Bernard Lafabrie, 1978 ( sans pag. , tirage limité, français-arabe ).
BEKRI, Tahar, Le laboureur du soleil, suivi de Les Grappes de la nuit , Paris, Silex, 1983, 109 p. rééd., Paris, L'Harmattan, 1991.
BEKRI, Tahar, Les Lignes sont des arbres, Les Chevaux de la nuit, La Maison , litho. originales de B. Lafabrie, Paris, Atelier Bernard Lafabrie, 1984, sans pag, tirage limité.
BEKRI, Tahar, Le Chant du roi errant, Paris, L'Harmattan, 1985, 120 p.
BEKRI, Tahar, Le Coeur rompu aux océans, Paris, L'Harmattan, 1988, 128 p.
BEKRI, Tahar, La Sève des jours, Paris, Ed. Sonore Artalect, 1991.
BEKRI, Tahar, Les Chapelets d'attache,Troarn, Éd., Amiot/Lenganey, 1993, 109 p. (MASSOUDY, Hassan, calligraphies). Rééd., Paris, L'Harmattan, 1994. Il rosario degli affetti, Roma, Bulzoni, 1997, 227 p.: Ed., bilingue français-italien.
BEKRI, Tahar, Poèmes à Selma, Rotterdam, Éd., Hiwar, 1989 ( en arabe). Rééd., Paris, L'Harmattan, 1996, 80 p.
BEKRI, Tahar, Les Songes impatients, Montréal, L'Hexagone, 1997, 70 p.
BEKRI, Tahar, Journal de neige et de feu, Tunis, L’Or du Temps, 1997, 60 p. ( en arabe ).
BEKRI, Tahar, Inconnues saisons/Unknown Seasons ( Ed. bilingue français-anglais, établie par Patrick Williamson) Paris, L’Harmattan, 1999, 146 p.
BEKRI, Tahar, Marcher sur l'oubli. Entretiens avec Olivier Apert suivi de Poèmes et textes, Paris, L’Harmattan, 2000, 98 p.
Site Internet : http://tahar.bekri.free.fr

Notes :
1-M. Rifaterre, L’étude stylistique des formes littéraires conventionnelles, 1964. Shoshana Felmann: La folie et la chose littéraire, 1978.
2-Merino, Leonor, Encrucijada de las literaturas magrebíes. Colección Interciencias, Centro UNED, Alzira-Valencia, 2001, 191 p. Bibliografía y traducciones al español.
3-Merino, Leonor, «"Adonis" (escritor sirio-libanés) Persuasión del acto Poético para (re)inventar el mundo», Nuevas del Aire (Madrid) mayo 1996, nº 39, pp. 27-28. Et Merino, Leonor, «“Adonis” (Ali Ahmad Said Esber) un hombre de andadura», El Mundo (Madrid) lunes 17 noviembre, 1997, p. 45.
4-Djaout, Tahar, «Interview», Voix multiples (Oran) nº 10, 1985.
5-Kéfi, Ridha: “Tahar Bekri. La liberté de l’exil”, Jeune Afrique, Paris, nº 1917 du 1er au 7 octobre, 1997, p. 47.
6-Doubrovski, Serge, Pourquoi la nouvelle critique ?, Paris, Mercure de France, 1968.
7-Pontalis, Jean-Baptiste, interview, Le Monde, Paris, 4 novembre, 1977.
8-Le Temps d’El Boraq, Tunis, Cérès Production, 1979.
9-L’Astrolabe de la mer, Paris, Stock, 1980.
10-Chassés-croisés, L’Harmattan, 1987.
11-Sonate à Zineb, Tunis, Impr. El Asria, 1987.
12-Élissa reine vagabonde, Paris, Le Seuil, 1988.
13-Paris, Bourgois, 1979.
14-Paris, Sindbad, 1986.
15-Le tombeau d’Ibn Arabi, Paris, Noël Blandin, 1987.
16-Paris, Maurice Nadeau, 1985.
17-Reflet pluriel, Talence, Presses Universitaires de Bordeaux III, 1986.
18-Bekri, Tahar: “Les secrets de l’écriture”, La Presse Littéraire, Paris, 22 juillet, 1996, p. 21.

À LA RECHERCHE D'UNE ENTENTE HUMANISTE AVEC LE MONDE ARABO-MUSULMAN
Casablanca, 1-2 septembre 2000

(Communication presentée à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Ben M'Sik, Hay El Baraka, Casablanca : 2ème édition d’ATABAT, les 1-2 septembre 2000, RENCONTRE INTERNATIONAL DE RECHERCHE ET DE CRÉATION: "Cultures Méditerrannéennes: Fusions et Diversités")
Leonor MERINO
(Drª Universidad Autónoma de Madrid)

L'Occident aveugle et consommateur vorace, esclave uniquement de ses intérêts économiques et stratégiques, il renonce à beaucoup de ses principes civilisateurs et humanistes. Habitué à concevoir le monde arabe comme un grand vide culturel et intellectuel, comme un espace chaotique et inexplicable, il méconnaît presque totalement l'existence d'importants écrivains, des créateurs et des penseurs. Installé, confortablement, dans sa vision sur l'arabe comme un être éminemment végétatif, passif, indolent et conformiste, l'Occident continue à ignorer le postulat -qui pour un vrai intellectuel humaniste devrait être irréfutable-: comprendre l'autre, ne signifie pas le définir.

Il y a beaucoup de préjugés sur ce bassin arabe de la Méditerranée qui a été le plus grand perdant de la crise dramatique que vit l´humanité depuis des années.

Il faut signaler que tout un éventail d'amitié et de phobie peut surgir lorsqu'on parle de ce qui est arabe. D'une part, dans notre for intérieur -tout caché dans sa profondité-, il y a un sentiment sous-jacent d’une forte nostalgie du passé –c’est-à-dire une manifestation d’un hier fort aimé-; d'autre part, on trouve quelque méfiance, quelque néglicence, quelque opprobre dûs à l'emploi abusif de topiques et de préjugés qui datent déjà. On a fait, sur la Chrétienté et sur l'Islam, un déploiement solennel de sa confrontation idélogique, dont les textes officiels de chaque faction -comme dans tout conflit- ont propagé leurs échos: la religion comme un vecteur d’antagonisme.

Évidemment, l'Occident s'en est aperçu et il a mis en place de fameux programmes de coopération internationale. Cependant les résultats ne sont pas tout à fait satisfaisants, pour ne pas dire qu'ils sont décevants(1).

On dirait que l'un et l'autre monde ne s'entendent pas bien. Il y a parmi nous une faillite sur un dialogue culturel authentique qui doit aller droit au but. Il y a parmi nous trop d'absences.

Probablement nous nous voyons et nous nous entendons davantage, mais nous nous regardons et nous nous écoutons encore moins ou pas suffisamment. Peut-être parce que cet effort nécessaire et digne est-il conçu surtout comme une formidable organisation politico-économique qui manque d'un solide soubassement comme l'interconnaissance culturelle, qui -si elle désire être authentique- exige une forme de communication plausible parmi des individus et des sociétés. Mais, attention !, il ne s'agit pas, bien au contraire, d'une manière celée d’exploiter une autre minorité.

Je renoncerai ici à un discours par trop profond et transcendant. Je vais refléter ma condition de chercheuse attentive sur cette question afin de me faire une idée approximative de ce bagage.

Dans une certaine communicaton écrite de mon pays, j'observe que la plus grande partie de mes compatriotes ne fait pas de distinction entre "l'arabe" et "le musulman". Mais mon irritation, mon mécontentement et ma douleur augmentent lorsque j'écoute un vieux et célèbre journaliste qui dit que l'Espagne -en tant que "mère patrie"- doit, surtout, aider l'immigration à laquelle elle est attachée par la langue et la religion; tandis qu'il y a -selon lui- une "autre" immigration qu'on peut différencier par ses rites religieux comme la fête de l'agneau (il n'ose pas dire -ou bien il ne connaît pas- l'Aïd-el-Kébir) avec son effusion de sang..., etc.

Cet éminent intellectuel, est-il innocent de l'importance de ses mots prononcés dans un média si puissant? A-t-il oublié, consciemment, de dire à haute voix ce qu’à été l'Islam en Espagne, même s'il s'agit seulement d'un "passage" si particulier qui a presque duré mille ans ?

A-t-il voulu, par malveillance -par ignorance?- faire taire ce qu’à été Al-Andalus, notre héritage commun, partagé, de créativité et de coexistence: une pléiade de scientifiques, de philosophes, d'artistes qui ont élevé l'Espagne au premier rang de la meilleure culture de son temps, et qui ont eu une influence sur l'éveil de l'Europe, tout en la propulsant vers la Renaissance de la plus exigeante modernité?

Méconnaît-il la diaspora de ce groupe d'hispano-mauresques, qui a décidé de garder le grand souvenir de l'Espagne dans sa langue -"aljamía"- et dans sa littérature -"aljamíada"-, qui est la langue espagnole écrite dans des caractères arabes?

Ignore-t-il l'existence dans notre circulation sanguine et dans notre sensibilité historique et littéraire de ce tissu d'origine arabe et marocaine: "Literatura marroquí en lengua castellana": des mots proches, intimes, enrichis par une double expression historique?

Ignore-t-il que notre chimie s'est mêlée aux oeuvres poétiques -nos "moaxajas"-, que nous avons également été des interlocuteurs dans la religion et des voisins dans les cimetières?

Un maître de la plume et de la parole, fait-il taire que nous trouvons dans notre langue de nombreux mots d'origine arabe -les plus belles, les plus sonores- que nous employons dans notre organisation militaire et corporative, dans la médicine, dans l'architecture, dans l'agriculture, dans la botanique? ("almojábana", "alcorque", "alféizar", "quilate", "quintal", "arroba", "zaguán", "zuleo"...).

Ignore-t-il, un autre exemple, que ce qui est espagnol et ce qui est marocain s'entrelacent? Faut-il lui rappeler l'intérêt de nos écrivains contemporains pour les auteurs marocains?: Lorca, Aleixandre, Gerardo Diego, Dámaso Alonso, José Hierro, Goytisolo... Et nos chercheurs qui ont formé de très importantes écoles!: Asín Palacios, García Gómez, Menéndez Pidal, Vernet...

N'est-il pas impardonnable (ce qui accréditerait un énorme vide culturel) de méconnaître des écrivains qui ont été traduits dans notre langue ou bien d'autres écrivains qui la connaissent?: des romanciers comme Mohammed Choukri, Mohammed Bouissef, Mohammed Sibari, Mohammed Zafzaf, Janata Bennouna, Moubarak Rabi'a..., des poètes comme Mohammed Bannis, Ahmad al-Mayati, Mohammed al-Sabbag..., des hommes de théâtre comme al-Tayyeb, al-Siddiqi ou al-Habib ou bien des penseurs et des chercheurs comme Berrada, Abid al-Yabri, Laarbi Messari...

En y réfléchissant, on s'aperçoit que, dès l'autre rive, seuls certains intellectuels connaissent la culture arabe et, bien entendu, les arabisants; tandis que chaque arabe cultivé est de fait plus ou moins occidentalisé. Puisque dès l’instant qu’il s'ouvre à la science moderne, il absorbe une certaine image de l'Europe.

Dans cette conjoncture, l'Espagne -dans le monde des sentiments- peut apparaître devant les peuples arabes avec une image plus proche, accessible, amicale: notre courte implication dans la aventure coloniale traumatique -face aux puissances occidentales de l'époque- et notre glorieux passé commun, nous placent pour jouer le rôle de "qantara" culturelle vers le monde islamique, et avant tout avec le monde arabe.

Mais, hélas!, il y a trop de phrase conventionnelle, partialement vide de contenu et dépourvue d'une nécessaire analyse contrastée... Et sur une pseudo-communication on ne peut rien élever de vraiment précieux, propre et durable.

Nous, les espagnols, nous devrions sentir le monde arabe, surtout le Maroc (peut-être ce voisin est-il trop proche...) jusqu'à pouvoir l'embrasser dans la matière de sa création, mais pas par son exotisme, pas par sa couleur locale, mais justement par le contraire: par ce qu'il a d'une identité commune, d'une sensibilité partagée.

Face au Maroc de "guembri" et "darbouka", nous devrions essayer de pénétrer l'âme arabe-marocaine jusqu'à pouvoir atteindre les aspects les plus authentiques et les plus profonds.

Mais, hélas!, il y a trop de phrase conventionnelle, partialement vide de contenu et dépourvue d'une nécessaire analyse contrastée... Et sur une pseudo-communication on ne peut rien élever de vraiment précieux, propre et durable.

Nous, les espagnols, nous devrions sentir le monde arabe, surtout le Maroc (peut-être ce voisin est-il trop proche...) jusqu'à pouvoir l'embrasser dans la matière de sa création, mais pas par son exotisme, pas par sa couleur locale, mais justement par le contraire: par ce qu'il a d'une identité commune, d'une sensibilité partagée.

Face au Maroc de "guembri" et "darbouka", nous devrions essayer de pénétrer l'âme arabe-marocaine jusqu'à pouvoir atteindre les aspects les plus authentiques et les plus profonds.

Aïe!, nous tous savons que l'ignorance -la déformation de l'Histoire et de la culture- condamne au racisme et à la xénophobie. Mais ce qui est encore plus grave c'est de passer sous silence nos connaissances mutuelles et de confondre l'opinion publique. Nous avons l'obligation, les uns et les autres, d'établir des dialogues sincères et justes qui garantissent un respect mutuel. Nous devons, les uns et les autres, nous pourvoir d'un bagage suffisant de connaissance et d'information digne de foi.

L’on ne pourra -honnêtement et licitement- parler d'une authentique coopération culturelle entre les deux rives, entre les deux mondes, qu’au moment où l'on pourra tracer des chemins (al-durub) et lorsqu'on y établira des mécanismes culturelles dans leur acception la plus vaste et la plus variée; personne ne peut soutenir des conceptions archaïques, restreintes, ou d'élite sur la culture.

Si l'Europe veut constituer une communauté plurielle et tolérante, c'est-à-dire chaque fois plus humanisée, elle doit renoncer à l'emploi abusif et implacable des stéréotypes, des préjugés qu'elle fait fréquement. D'autre part le monde arabe doit faire sa propre et profonde révision tout en restant attaché à ses racines.

Si l'on pense qu'il s'agit seulement -pour l'un et pour l'autre monde- d'une question politique, on posera ce problème d'une manière partielle; puisque même si le politique a un rôle très important, les responsabilités de chaque société ne doivent pas rester en arrière.

La Méditerranée dans son ensemble -et d'une manière précise son cadre occidental et en somme l'espagnol- laissera d'être un fossé pour devenir "al-qantara". Une philosophie et une éthique de la coopération culturelle l'exigent. Voilà le grand défi que nous avons encore posé, dans ce temps qu'on désire de traversée, de ré-vision et de re-connaissance.

Mais il faut être attentifs, car ces mots vieillissent à force de les manier. La femme, l'homme, nus du jeu des mots et quel que soit leur pays d'origine, sont d'abord appelés à refuser les paysages moroses du quotidien et à preparer des lendemains meilleurs.

Il nous faudrait aussi connaître la saisissante et limpide affirmation de l'ancien poète grec né dans des terres palestiniennes, Meleagro de Gádara: "nous sommes tous des étrangers, des habitants d'un même pays, le monde, et le même chaos donna naissance à tous les mortels".

J'essaye de finir cette réflexion personnelle en conciliant ma raison et mon émotion afin d'être optimiste sur cette coopération mutuelle. Je dois encore retourner au plus splendide fait historique méditérranéen, conclus mais pas éteint pour les arabes et pour les espagnols, c'est-à-dire al-Andalus, celui de la réalité symbolique: Notre Histoire partagée qui appartient au passé hispano-arabo-islamique comme à la mémoire collective hispano-arabo-islamique, car depuis des siècles elle a été et continuera à être un motif d'inspiration artistique et littéraire.

En lisant nos écrivains espagnols Ángel Ganivet, Antonio Gala ou l'écrivain hispano-américain Enrique Gómez Carrillo, on éprouve, dans leurs créations, le dénominateur commun de l'ineffabilité de cet al-Andalus.

Voyons maintenant la vision de l'Espagne pour les arabes, selon le poète syrien Nizar Kabbani: "une émotion historique impossible" (waydun tarihiyyun mustahil). Pour le marocain Mohammed al-Sabbag: "al coger una flor en al-Andalus nace un enamorado".

Finalement, un autre marocain, Mohammed Abid al-Yabri, signalait d'un esprit très sagace la prédisposition que l'Espagne actuelle montrait vers la "réconciliation avec le passé"; tout en la considérant comme l'une des plus grandes réussites de notre culture politique et sociale.

En conséquence..., je me demande, pourquoi embrasser ce qui sépare et faire comme si n'existait pas ce qui nous attache tant?


(1)Il y a quelques mois Mohammed VI affirmait dans "El País", Madrid, 19/6/00: "Europa está contra los pueblos magrebíes".

«La Sociedad Española de Literatura General y Comparada: qantara entre les rives de l'Orient et l'Occident»
Casablanca, 14-18 avril 1999

«La Sociedad Española de Literatura General y Comparada: qantara» entre les rives de l'Orient et l'Occident

Leonor Merino (Drª Universidad Autónoma, investigadora, traductora)


(“Littératures Comparées sur le bassin de la Méditerranée”: RENCONTRE INTERNATIONALE sur le patronage de L’UNIVERSITÉ HASSAN II, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Ben M’Sik Hay El Baraka Casablanca: 14-18 avril 1999)

O.-

Si comme simple troubadour -oiseau de passage- j'élève ma voix dans cette tribune, parmi d’éminents théoriciens comparatistes du bassin méditerranéen qui maintenant nous ont rejoint, ce n'est pas dû à mon mérite mais à l'admiration et à l'affection envers la Sociedad Española de Literatura General y Comparada qui a généreusement accueilli ma vocation à l'altérité, aux littératures maghrébines en langue française.

Et, quelle est cette belle altérité si ce n’est l'entente et la communication entre les différentes cultures et des hommes: ce qui relie les uns aux autres dans la création littéraire comparée de n'importe quel pays et avec laquelle tous puissent se sentir solidaires.

Et, quelle est cette joyeuse altérité que la littérature maghrébine, africaine, canadienne ou antillaise en langue française dans laquelle des écrivains éloignés par des immenses plaines, reflétés dans d'autres mers, bercés par de différentes berceuses, ils ont accompli le miracle d'écrire dans une langue française, et, pourtant, bien différente.

Et, quelle est cette généreuse altérité qu'offrent les chercheurs, les traducteurs, qui répandent la connaissance des oeuvres plus loin que leurs propres langues.

Dans toute cette voie interdisciplinaire dans laquelle l'histoire, la géographie, l'anthropologie, la sociologie et la linguistique s'entrelacent -tout en donnant à connaître ce qui n'est pas connu et décrivant ou traduisant l'inconnu-, le comparatisme se dessine.

Qu'importe l'encre, la couleur des mots, le regard des mots! Chaque fois que l'homme fait un saut entre des langues et qu’il considère d'autres domaines de l'expression artistique ou de la pensée, la rencontre et la différence sont en communion: Des mots clefs de cette perspective œcuménique que mène à bien la Société Espagnole de Littérature Générale et Comparée.



A.-ORIGINE ET TRIOMPHE DE LA LITTÉRATURE COMPARÉE: I COLLOQUE (1974)

Le premier Colloque, célébré en Espagne sous l'invocation de Littérature Comparée, a eut lieu dans le Collège Universitaire «Jaime del Amo» de Madrid, le 3 et 4 mai, 1974. Sa gestation a été due à l'initiative conjointe d'enthousiastes protagonistes d'une grande taille critique: Claudio Guillén de l'Université de Californie, Antonio Prieto du département de littérature italienne et Margarita Smerdou du département de littérature espagnole, tous les deux de l'Université Complutense de Madrid.

Dans ce Colloque pionnier des comparatistes internationaux y ont participé comme l'hispaniste Marcel Bataillon (Univ. de Paris), qui plaida en faveur d'une littérature selon Étiemble, vraiment générale, c'est à dire "libérée d'un européen-centrisme".

Les communications s'agroupèrent autour de:

  1. - Le Comparatisme coula par les voies de la littérature générale, spécialement, par des aspects qui rattachent le fondement linguistique avec le fait littéraire: E. Alarcos (Univ. de Oviedo), "Poesía y estratos de la lengua". A. Prieto, "De la diferencia entre formas y estructuras". Et Cl. Guillén, "De la forma a la estructura: fusiones y confusiones".
  2. - Avec des questions plus spécifiques de la théorie littéraire: C. Bousoño (Univ. Madrid), "Un aspecto del irracionalismo: la fe en la literatura absurda", et R. Étiemble (Univ. París), "Critères de pertinence pour traduire le haiku en langues indo-européennes".
  3. - Le genre littéraire, dans sa relation avec la création poétique ainsi que dans son profit pour l'organisation des études littéraires: F. Lázaro Carreter (Univ. Autónoma de Madrid), "Sobre el género literario". C. Segre (Univ. Pavía) "Le strutture narrative e la storia".
  4. - La périodicité dans les études littéraires: I. Sötér (Univ. Budapest), "Littératures européennes comparées".
  5. - Des contributions sur un ample domaine comparatiste: M. Smerdou "El engaño a los ojos: un motivo literario" étudié chez Lucanor, Cervantes et del Olmo. Et J. Casalduero (Univ. Madrid) "Sentido y forma de Guzmán de Alfarache".
  6. - Le Comparatisme artistique: R. Bauer (Univ. Muncih), "Retour à Cythère: la rédecouverte du rococo dans la litt. du 19è s." J. Urrutia (Univ. Cáceres), "Estructuras cinematográficas en obras literarias".
  7. - Dans un domaine plus concret: E. Kushner (Univ. Ottwa) "Le dialogue de la Renaissance: œuvre d'art ou quête de vérité". Et F. Rico (Univ. Aut. Barcelona), "La primera persona como género literario", se rapportant à la littérature du Moyen Âge basée sur Dante et Petrarca.

Tous ces travaux ont été préfacés avec une pertinente synthèse et une grande équité par F. López Estrada (Univ. Madrid) qui encourage le comparatisme par une voie universelle et générale.



Note:

Dans mes recherches, j'ai obtenu un seul écho de cet événement dans la presse espagnole qui est accompagné par de chères photographies: Santos, Dámaso. «COLOQUIO DE LITERATURA COMPARADA EN ESPAÑA. A la busca del secreto, las formas y géneros literarios», Pueblo (Madrid) 11 de mayo, 1974, p. 5.



B.- VINGT-CINQ ANS DE COMPARATISME ESPAGNOL DANS 1616 ET DANS LES ACTES DES SYMPOSIUMS

Depuis cette heureuse initiative vingt-cinq ans se sont écoulés de notre SELGyC. Son dernier XII Symposium a eut lieu à l'Université de Huelva, le 24 et 26 septembre 1998. Actuellement, la Société a quatre cent trente-cinq sociétaires, des professeurs et des chercheurs de différentes littératures dans plusieurs centres universitaires. Elle a comme forum la revue 1616 (Mil seiscientos diciséis qui rend hommage à la date de la mort de Cervantes et de Shakespeare).

Cette revue se présente comme un annuaire, mais sans une périodicité très stricte, car il faut signaler que plusieurs Actas de los Simposios (bi-annuelles) ont été séparément publiées dans de gros volumes par quelques universités qui ont patronné chacun des Congrès (Granada, Zaragoza, Santiago de Compostela). D'autre part, quelques monographies ont paru dans des volumes séparés, comme celle qui a été consacrée à "El relato intercalado", publiée à Madrid avec la collaboration de «La Fundación Juan March» en 1992 (nº qui initie la collection "Minos" de Littérature Comparée).

La SELGyC a successivement été dirigée par les renommés professeurs: Martín de Riquer, Fernando Lázaro Carreter, Claudio Guillén et Carlos García Gual. Lors de son dernier Congrès, Carlos Alvar a été élu notre Président. La Secrétaire Générale est Mercedes Rolland qui -tout en suivant l'exemple de la Secrétaire pionnière, Margarita Smerdou- s'occupe des publications avec un grand soin, et sa généreuse disponibilité est bien connue par tous les sociétaires.

Malgré la précarité de l’espace qui implique le cadre d'une communication, je passe à analyser les travaux publiés jusqu'à nos jours dans cette Société (14 volumes : l'un d'eux est un numéro double et d'autres volumes sont très vastes).



Anuario I (1978)

Du I Coloquio dont j'ai parlé ci-dessus, on ne publie que les travaux des suivants conférenciers: Étiemble, Guillén, Smerdou et Sötér, avec le «Discours inaugural» de Bataillon et la «Préface» de López Estrada.

Dans ce volume on publie également le I Simposio (1977) avec les treize travaux suivants:

Dans cette occasion M., de Riquer présenta le Simposio, tout en rappelant l'importance de relier la littérature avec l'art et n'oubliant pas que le «livre» n'est pas seulement un élément de transmission indispensable, car tout un transvasement de chansons dans la voix du jongleur a été transmis "par les vents". Ainsi, ce comparatiste traduit des vers de Minnesänger Ulrich von Lichtenstein.

J. Arce offre «la clave interpretativa de una estrofa» -dans un état déplorable- «de F. Imperial», dont la forme mentale et de composition lui vient de la Divina Commedia, en y démontrant que la comparaison, presque philologique, interprète mieux certains des passages. Carballo Calero contribua à la connaissance de L. Pimentel, à travers la publication de 17 poèmes originaux et inédits écrits en langue espagnole dont on a publié des versions galiciennes. Fernández Galiano developpa, en "Hamletiana" -à partir de la critique textuelle- quelques connexions du monde classique avec la littérature postérieure. Mª T., Fdz. González traita l'influence de La Gaviota -Fernán Caballero- dans les novelle, Lontano et Lumíe di Sicilia -Pirandello.

L'un des critiques actuels, le plus important dans la presse espagnole, García-Posada, étudia les relations entre le poète Baudelaire (des pleurs de morts: "Remords posthume", dans Fleurs du mal) et notre García Lorca (la vie des morts: "El diamante", dans le Libro de poemas et dans le Romance del emplazado).

Avec de l'intuition et avec son bon métier, Ana Mª Holzbacher a vu une assimilation de Charles d'Orléans dans l' œuvre de Baudelaire. Fr. Lafarga aborda la contribution de certains des intermédiares (Ignacio de Luzán, duc d' Almodóvar et le jésuite Juan Andrés) dans la diffusion de l' œuvre de Voltaire -au XVIIIème s. et en Espagne.

Dans un travail doctement élucidé, "Literatura y folklore: los refranes", Lázaro Carreter explique que la littérature s'adresse à des récepteurs de n'importe quel temps ni lieu, et le proverbe s'adresse à des possesseurs -à un certain publique qui l’adopte-, dans des temps et des lieux concrets. G. Makowtecka fait référence à Nicolás Rej -"padre de la literatura polaca"- et à son oeuvre Vida de un hombre de bien qui rappelle celle de fray A. de Guevara, Menosprecio de corte y alabanza de aldea. Et Pérez Priego, «De Dante a Juan de Mena: sobre el género literario de "comedia"», a examiné l'influence exercée par les commentaires sur la Divina Commedia de Benvenuto Rambaldi da Imola sur la théorie littéraire de Juan de Mena et, spécialement, sur sa conception et sa réalisation poétique du genre de la comédie.

Rodríguez Adrados plaida pour une Histoire de la Littérature formalisée, généralement comme l'ancienne grecque, dont l'attention aux genres littéraires, aux sub-genres et à l'analyse formelle des oeuvres doit occuper un lieu absolument fondamental. A. Soria signale, tout en s'appuyant sur l'essai de Romero -Sobre la biografía y la historia-, qu'après la I.G.M., l'apparition et l'apogée de la nouvelle biographie romancée s'est produite pour "desprenderse de toda coación arquetípica". Finalement, A. Villanova considère que El Asno de oro -Apuleyo- fut pour l'auteur anonyme du Lazarillo de Tormes "más que un simple modelo estructural", et qu’il lui a servi de modèle pour enchaîner les matériaux folkloriques et littéraires dont il s'inspire, dans la succession linéale et épisodique du récit à la première personne.

Pour synthétiser, encore plus, le bilan de ce prestigieux Symposium, on y remarquerait le grand courage vers les études comparatistes, avec des méthodes les plus strictement philologiques, des tentatives de précision, de détermination, d'opposition, d'une ouverture vers l'art, le folklore et vers tous les instruments à la portée de la littérature, des commentaires, des traductions..., "y no nos empeñemos en poner diques a todo un mar de posibilidades, ya que cualquier indagación literaria ha de ser recibida con simpatía y agradecimiento": ce sont des mots généreux de M. de Riquer qui comblent l'espoir des comparatistes.



Note:

«El Reglamento de la Sociedad Española de Literatura General y Comparada» y est inclus (il sera de nouveau dans le vol. VI-VII).



Anuario II (1979)

Les douze travaux de ce volume se sont réunis autour des aspects suivants:



A.- La réflexion théorique sur les présupposés de l'histoire littéraire depuis les diverses perspectives:
  1. Après les idées sur la réception de H.R. Jauss, on expose, magistralement, trois cas de l'Histoire littéraire espagnole qui s'occupent du phénomène de la réception matérialisée dans: a)La curiosidad de los humanistas en el rescate de textos medievales; b)Mediación de las creencias de una época en la génesis de conceptos explicativos en historiografía literaria; c)Presión de los grupos sociales en el proceso de difusión de las obras literarias (Romero Tobar, L.).
  2. Dans un travail inappréciable et d'un grand intérêt vers l'histoire littéraire en relation avec la théorie critique, celle-ci se demande par la configuration de l'histoire littéraire et par les possibles relations entre la littérature et l'histoire,"se ha llegado a evidenciar los distintos procedimientos críticos correspondientes en una diversidad de respuestas que suele ser irreconciliable". D'autre part, en partant des procédés critiques non conditionnés, on arrive à la nécessité de mettre en rapport la littérature avec l'histoire, l'art avec la culture, dans une direction que "la semiótica lotmaniana trata hoy de precisar y que Segre perfecciona" (Hernández E., Mª.).
  3. Comme attention à l'histoire littéraire sur les aspects de l'histoire du livre, nous ne pouvons pas oublier l'étude de la situation de l’édition actuelle "ya que ejerce de condicionante de la misma creación literaria", cette situation est arrivée à La Dorotea écrite pour être publiée (Moll, J.).

B.- On révise et on clarifie le concept d'influence et d'intertextualité qui précise les bases méthodologiques du comparatisme dans : «De influencias y convenciones», traduction à la langue espagnole d'un chapitre d’un texte célèbre, Literature as System, 1971. (Guillén, Cl.).
C.- Le modèle classique se manifeste comme une constante historique, dans la présence de détachés philologues du monde classique:
  1. "Según los momentos y las modas, lo antiguo se imita, selectivamente". Ainsi, l'imitation des classiques fait à nouveau son apparition au Moyen Âge, dans la Renaissance et dans une date postérieure. Dans tout cela le hasard intervient, mais aussi la nécessité de modèles différents dans des moments différents. Cette combinaison des faits tout en ajoutant les divers types d'influx, "más los impulsos en cada momento de la sociedad contemporánea fueron configurando poco a poco las Literaturas" (Rodriguez A., F.).
  2. Plusieurs exemples d'amour et d'adhésion à Socrates vont s'égrener à travers des lectures contemporaines suivantes: Clarín, Unamuno, Ortega, Valéry, Snow, Steinbeck, Riba, Tovar, Laín Entralgo, le toujours génial "e impertinente" J.L. Borges, et J. Guillén: (/El maestro quedó con sus discípulos/Ningún temor aflige al condenado/El alma es inmortal, y sin el cuerpo puede inquirir sus últimas verdades/Las sabrá -con los dioses- el filósofo/Muerte es liberación. Y a la cicuta). "Y que Dios nos libre de ella" (Fernández Galiano, M.).
  3. Dans «los clásicos populares» -où le populaire se définit par opposition au cultivé et au choisi-, le Corpus de Fábulas attribué à Ésope et la Vida de Alejandro de Macedonia à Pseudo-Calistenés, démontrent la transmission particulière de ces textes dans «la tradición abierta»: l'altération intentionnée de l'auteur anonyme, qui s’oppose à la tradition fermée: la reproduction fidèle d'un texte canonique, "fijado para siempre por el autor" (García Gual, C.).

D.- «En torno a la llamada "poética generativa"», on trouvera cette affirmation: "tal vez no pueda serlo" (Bosque, I.); et on verra aussi l'énorme révision méthodologique sur la relation des grammaires et le texte litéraire (Gª Berrio, A.).

Finalement, même s'il n'est pas habituel de dénommer néoclassiques à des poètes si tardifs dans l'historiographie espagnole, comme Moratín et Cabanyes, on analyse leurs affinités et leurs oppositions (Arce, J.). Également la langue castillane et la langue galicienne sont des osmoses fécondes dans l' Álbum de la Caridad, 1862 (Carballo, R.). Et la réunion de «selectas composiciones poéticas», 1908 -d'une faible tonalité moderniste- la réalisa De Ory pour compléter La Corte de los Poetas, 1906, de Carrere (Martínez, JMª.).



Anuario III (1980)

Il est important de signaler dans ce volume l'apport de Mme., de Staël qui, par elle-même, est un thème intéressant afin d’occuper un lieu éminemment décisif dans l'Histoire de la Littérature Comparée (Bader, W.); la tonalité de Empresas morales de Juan de Borja, va à remplir son oeuvre postérieure (Bravo-Villasante, C.) ; ou la méthodologie de l'Histoire de la Littérature (Caso, J.M.) et les relations entre les arts plastiques de la Renaissance et la littérature (Cots, M.), de même que celles-ci avec la musique tout en se remontant au passé classique (Rdguez Adrados, F.). Enfin la pertinence des éléments musicaux dans la littérature (Louzao, R.).

Il faut aussi signaler la norme poétique dans des oeuvres mineures et dans "el entremés", tout en élucidant le conflit de coexistence entre celui-ci et la comédie de Lope de Vega dans la représentation baroque (Huerta, J.); le "proverbio dramático" -Alménorale de Carmontelle- avec des résonances du saynète Zara de R. de la Cruz, qui avait été tenu comme la parodie de Zaire de Voltaire par ses traductions espagnoles (Lafarga, F.) et la poésie figurative qui jette ses bases au Moyen Âge (Romera C., J.).



Anuario IV (1981)

Les quatorze communications présentées traitent les sujets suivants:
  1. - «Traducciones y adaptaciones en el Renacimiento»: la traduction inter-linguistique, son importance dans la naissance et le désarroi des littératures (García Yebra, V.) ou la manque humiliante d'une bonne traduction dans les Essais de Montaigne (López, O.) ainsi qu'une pratique de la traduction dans la Renaissance espagnole (Pérez, M.A.).
  2. - «Métrica»: la rime en césure avec de la synalèphe (Mariner, S.); des apports à la métrique hispanique de Rosalía de Castro: "una precursora" (Carballo, R.), et les aspirations de rénovation de la poétique espagnole -Unamuno- qui trouvent leur voie se mettant en rapport avec les maîtres de la lyrique italienne (González M., V.)
  3. - Dans l’intention commune entre «Poesía y Pintura» -nommée par Horacio-, on trouve celle de «Ronsard y la pintura manierista» (Cots, M.) et le domaine de l'avant-garde espagnole, 1909-1931 (Soria, A.) ou la double communion spirituelle -le signe linguistique et l'icône- dans la collaboration des frères Valeriano et Gustavo A. Bécquer (Palomo, Mª del P.).
  4. - En ce qui concerne les «géneros literarios, como Biografías, Memorias y Diarios», c'est intéressant de savoir si le titre des Confesiones de Rousseau était parti d'un projet que l’auteur modifia par la suite, donnant lieu à une nouvelle oeuvre entre deux genres (Holzbacher, A.Mª), et comment à son origine, l'authentique "Diario" et la littérature étaient deux domaines inconciliables (Picard, H.R.).

Magnifique la contribution espagnole au discours biographique -branche de l'historiographie- de F. Pacheco qui est en dette avec l'italien Jovio (Soria O., A.). Les liens d'une partie de la Renaissance espagnole imbriquée avec l'historique et le militaire de l'époque et avec le monde classique (Vián, A.).

Finalement, l'autobiographie permet de renouveler la littérature espagnole du XVIème s., et la littérature française et anglaise du XVIIIèmme s. -Lazarillo, Guzmán, Robinson, Moll Flandes, Marianne et Manon-, bien que les plus grands écrivains l'aient refusée: Cervantes, Dostoievsky, Flaubert, Faulkner (Yllera, A.).



Note: ce volume est clos avec la triste disparition de Joaquín Arce Fdez., avril 1982, qui initiée Département de Philologie Italienne de l’Université Complutense et qui avait aussi enrichi le comparatisme italien-espagnol.

Anuario V (1983)

Dans le V Symposium, quatorze travaux ont été présentés autour des deux sujets suivants:


  1. - "El diálogo": didactique, dans le cas de l'humaniste «Juan Luis Vives» (B.-Villasante, C.). L'«espiritual de Montemayor»: un intellectuel dans les cours portugaises et castillanes (Esteva, Mª D.). Les dialogues galiciens de la tradition de la Renaissance (Carballo, R.). "Deux" dialogues «renacentistas desconocidos» (Infantes, V.). «"Dialoguismo" en Bajtín», l'un des post-formalistes russes le plus important (Gómez, F. V.) et le «Coloquio de los perros» abordé sur un point de vue psychanalyste (Morales, Mª L.). Et «las acotaciones en los diálogos de Peribañez» au théâtre des “corrales” (Mu2.ndi, F.).
  2. - "La decadencia" (une réaction contre les canons, qui devaient être surpassés et qui étaient nés autour des cénacles des symbolistes) est traitée depuis la psychopathologie du décadentisme allemand: depuis Tristan de Wagner à "Ditirambos de Dionisio" de Nietzsche et Electra de Hofmannsthal (Cardona, A.). Également le concept de décadence chez Leopardi (Muñiz, Mª N.) et chez Gozzano, le grand poète de Torino (Soria, A.) et aussi dans la littérature catalane (Rincón, Mª E.) et dans la projection de Maupassant en Espagne (Paredes, J.).

«Decadencia y Siglo de Oro» sont inséparables depuis la perspective de la conscience nationale ravivée dans les premières décennies du XVIIIème s. (Marín, N.). Finalement les huit années «de la editorial Cenit, breve perfil» (Santonja, G.).



Anuario VI-VII (1988)

Ce numéro double comprend une sélection de vingt-sept communications présentées au VII Symposium de la SELGyC célébré à Barcelona, octobre 1988. Volume d'un grand niveau scientifique à l'heure d'aborder les plus diverses perspectives que les trois sujets agglutinants suggèrent:


  1. «Exilio y Literatura»: La littérature autrichienne offre un illustre exemple du propre exil de la patrie qui, dans certaines occasions, finalise avec le Lento regreso al hogar, «la tetralogía de P. Handke» (Barjau, E.). Dans l'exil il y a deux exemples opposés, celui du poète français Du Bellay mû par des circonstances de promotion sociale: de la poésie satirique; et celui du catalan Riba, de l'exil politique, du dépouillement et de la mort: de la poésie élégiaque (Boixareu, M.). Chez un écrivain espagnol -vers la moitié du XVIème s.-, Alonso Núñez de Reinoso, "su situación personal de converso exiliado" sera reflétée dans son oeuvre de fiction Clareo y Florisea (Cruz C., A). À l'imitation De exilio de Plutarque -une lettre de consolation adressée à un ami exilé- Fray Antonio de Guevara -"que no sabía griego y debió leerlo en alguna traducción latina"- offre un bon échantillon d'imitation au contraste (García Gual, C.). On trouve aussi "el tema del exilio" dans quelques Lais de Maríe de France (Holzbacher, A Mª.). Le bannissement dans la vie et l' œuvre de Mª de Salazar, un écrivaine des Carmes déchaussées (Manero S., Mª del P.). Également la guerre civile espagnole et l'exil marqua le bilinguisme de J. Semprún (Segarra, M.). Et Moreno Villa -comme Altolaguirre- «brilla par son absence dans la première Anthologie du 27», donc depuis son exil mexicain son dolent chant -"voz en vuelo"- se hisse vers son berceau: Málaga (Smerdou A., M.). Cependant, un exil volontaire fut celui d'un "condestable de Castilla" par le faible caractère du dernier "trastámara" castillan, "displásico eunucoide "(Soriano, C.).
  2. «Teoría y crítica literaria»: À l'intérieur de la «catalanidad»: a)l'importance du bilinguisme chez Yxart comme une récupération de sa langue et comme une synthèse entre la tradition et la modernité (Cabré, R.); b)la réflexion d'une critique qui ambitionne se placer dans le paradigme de la modernité (Gavaldà, J.); c)de la fonction de la littérature et de l'histoire littéraire: depuis les «"encyclopédistes" jusqu'à Milà» (Garrido, M.) d)l'ilustre "impertinencia de Ferrater" (Perpinyà, N.); e) comment le renouvellement du théâtre catalan est enlacé aux devis du drame d'idées et "de pasiones" comme une héritage d'Ibsen (Siguan, M.); f) «Per què Xènius va dir el mateix que Eugenio d'Ors?»: un traitement respectueux et normal parmi les espagnols, Don Eugenio, et son pseudonyme Xènius (une corruption familière de son onomastique) soulignent le parallélisme entre les deux grands rôles à interpréter chez cette personnalité distinguée (Murgades, J.). D'autre part, dans Historia de las ideas estéticas de M. Pelayo, il faut signaler l'importance des théories dramatiques "desde las tradiciones hasta la renovación moderna" (Canoa, J.). Les traits pré-rafaëlistes que G. Miró offre aux femmes "positivas", mais pas aux "doncellonas flacas ni a las amas y criadas gordas" (Riera, C.). Et par la suite, on verra le «feminismo y sus líneas de investigación» (Cabanilles, A.). Et, «Martínez Ruiz y la polémica del esteticismo en el cambio de siglo» basée sur la priorité qui octroie, depuis son compromis, les idées que l’œuvre renferme (Rodríguez, J.).
  3. «El ensayo como género literario», un bon exemple des problèmes de définition, de classification, de l'établissement des origines et des règles, s’est découlé depuis l'apparition d'une nouvelle forme littéraire, et, dans ce sens «El hombre práctico» "puede considerarse un claro antecedente del ensayo español" (Arredondo, Mª S.). Tout en se remontant jusqu'aux origines de l'essai chez Montaigne -le père de ce genre-: il ne l’a jamais associé à une étiquette ou à une catégorie littéraire mais à "una noción de método del desarrollo de un proceso intelectual" (Cots, M.). Montaigne de même que Azorín vont depuis l'étude du moi à la réflexion du procès de création littéraire, "construirse en el acto de escritura" (Escartin, M.). Et «El ensayo juvenil de Leopardi», Saggio sopra gli errori popolari degli antichi, ce n'est pas une défense de l'erreur, mais il refuse à être seulement "una demostración racional de su falsedad" (Barbolani, C.). Il y a aussi des auteurs qui ont fait date dans l’essai hongrois, depuis le créateur de l'essai moderne, Jenö Péterfy, 1881, jusqu'à Péter Esterházy, 1988 (Fábry Z., Mª). Chez Gómez de la Serna, son intuition et son application ouvraient le champ de l'investigation comparatiste "entre literatura y artes plásticas [francesas]" (López J., L.). Bouvard et Peuchet, l'œuvre posthume de Flaubert -publiée dans La Nouvelle Revue- équivalait à la plus profonde "fenomenografía de la burguesía de Francia en el s. XIX" (LLovet, J.). Et le vitalisme de l'essai et la volonté formelle de la lettre confluent dans un terrain commun; donc, celle-ci est l'avant-cuisine "de lo ensayístico" dans l'exil de Salinas (Soria O., A.).

Actas del VI Simposio de la SELGyC (1989)

Célébré à Granada, mars 1986: les presque quatre-vingt-dix communications sélectionnées ont été publiées dans un gros volume aux bons soins de J. Paredes Nuñez et A. Soria Olmedo, Granada, 1989. Dans cette chère rencontre andalouse -où l'on a vu comme d’habitude le battement d’ailes de l'investigation comparatiste actuelle-, on a présenté les sujets suivants: «Oriente y Europa: confluencias literarias y textuales»; «Modernismo y Postmodernismo», et «Traducción e Historia literaria».



Anuario VIII (1990)

Le VIII Symposio eut lieu à Madrid, avec les communications de A. Cioranescu («El arte de la traducción», comme un art de création littéraire) et de F. Ynduráin («Comparatismo y poligénesis», l'apparition de récits similaires sans aucune liaison directe et dans de différents lieux). Les dix-huit travaux se sont ceints aux sujets suivants:



1er.-

"Filosofía y Literatura": «La estética de Kant en España» dans son 2ème centenaire de Crítica del juicio, a été traduite par Gª Morente et son contenu a été analytiquement exposé, où la réflexion d'Ortega y Gasset sur la pauvre humanisation de l'art n'est pas absente (Abad. F). Ce grand philosophe et essayiste espagnol offre aussi «una respuesta ante las incitaciones de la literatura francesa»: nous avons besoin d'une introduction à la vie essentielle (Ballano, I.). Dans «Baroja y su ideología filosófica», il ne s'intéressait pas aux Écoles de la Philosophie mais aux directions qu'elles pouvaient offrir à la vie (Elizálde, I.).

Si l'homme fait de la Philosophie -parce qu'il croit que l'art et le monde sont intelligibles-, et s’il fait aussi de la Poésie -afin d'exposer l’être caché-, donc «imágen desde el aire: Bachelard y Huidobro» est de la "poétique philosophique" (Gómez, Mª J.). Et le fragile dessein maintenu entre la littérature et la philosophie est «la novela como instrumento filosófico en la obra de B. Parain» (Leguen, B.).

Nous verrons aussi comment dans «dos visiones de Dionisio», Nieztsche -dans El nacimiento de la tragedia- présenta un Dionysius "sufriente": le seul paradigme du héros tragique jusqu'à Euripides. Dans Las Bacantes, s’exprime un esprit dionysiaque "fundamentalmente contradictorio" (Rodríguez, J.C.). En Espagne, peut-être le problème des illustrés a été leur incapacité pour assumer les affaires vraiment importantes: «La recepción de la filosofía ilustrada» (Sánchez, I.).

Chez un écrivain belge, la conception temporelle -et son inquiétude spirituelle, proche à la pensée orientale- est une ascèse menée à bien dans le dénuement progressif de son oeuvre: «Henri Michaux y el Zen» (Segarra, M.). L'italien G. Papini avec «Un uomo infinito» -né de sa crise profonde et mis en relation avec l'époque immédiate antérieure à 1912-, l'écrivain entra dans l'histoire du "Novecento literario" (Valencia, MªD. y Peña, V.). Et, enfin, l'ingrédient tragique, «en la obra de Pierre-Simon», se concentre entre l'exigence naturelle vers la félicité et le malheur de notre condition (De Asís, Mª D.).



2ème.-

"Cine y Literatura": «Un antecedente literario de Freud y Hitchcock en el XIX alemán: el vértigo en O. Ludwig» -et sa subtilité avec laquelle il dissèque les procès animiques-, est, peut-être, l'un des exemples les plus précoces du psychologisme littéraire (Balzer, B.). Et avec «Arturo y Escalibur: de una vieja leyenda a la moderna pantalla», on aborde le ménage cinéma-littérature depuis le symbolisme visuel et le treillis structurel dans le royaume du mot (Casado, A. y Arce, J.).

La production filmique de l'avant-garde soviétique des années vingt (le retour sur des études théoriques pionnières dans la proposition d'une poétique comparée) mène à cette réflexion: «El principio de montaje y la función poética» (Cabanilles, A.). La forte attraction qui exerce le néo-réalisme italien, et spécialement le cinématographique va être étudié dans «la literatura del neorrealismo español», sans être une copie fidèle au modèle (Fernández, L.M.).

Avant l'arrivée du cinéma sonore, l'analyse d'un ensemble de textes de l'avant-garde mène aussi à «La reflexión vanguardista sobre la "especifidad" del discurso fílmico» (Gavaldà, J.V.). Et malgré les changements qui se produisent lorsqu'un roman se transforme en vision cinématographique, il est respecté dans son essence: «Pérez Galdós y Olea: dos visiones para un mismo Tormento» (Mañas, Mª del M.). Mais cela n’est pas arrivé à une excellente oeuvre de théâtre dans son adaptation au cinéma: «Amadeus de P. Shaffer y según M. Forman» (Piñero, E.). Finalement, la magique conjonction d'un "hombre-teatro" -avec son labeur cinématographique- est la réalité tangible de l’art et de ses songes: «A. Artaud: la relación de sus teorías teatrales con el cine» (De Santiago, C.).



Note: Ce volume insère quelques index de la revue 1616. En outre, comme j'ai signalé, le 3ème thème: "El relato intercalado" fut édité avec la collaboration de «La Fundación Juan March», Madrid 1992.

Actas del IX Simposio (1994)

Ce Symposium eu lieu à Zaragoza (18-21 nov., 1992), où sa Université se chargea de la publication des deux gros volumes. Il y a eu une extraordinaire quantité de communications, mais par des raisons de temps et aussi thématiques on a accepté les suivantes, selon les trois sujets choisis: "La mujer: elogio y vituperio": 44 communications (Vol. I); "La parodia": 30 communications et "El viaje imaginario": 28 communications (Vol. II).

Le nº IX de 1616 (pp. 137-138, Hernández, Mª) fait un résumé sur les travaux dédiés à la femme -envisagés tant théoriquement comme historiquement-, où l’on trouve aussi des travaux synchroniques (Corona, G.) et d'autres diachroniques (Vaíllo, C.), qui vont depuis le monde ancien (Balzer, B. y Marina, R.Mª) au siècle contemporain (Abad, F. y Ara, J.C.). Pour la première fois, "se abordan ámbitos literarios poco conocidos": Des connotations entre la littérature grecque et la marocaine (1), ainsi que l'opposition entre une marginalité et une aspiration dans la littérature maghrébine, libanaise et égyptienne avec la Trilogía de Mahfuz (Merino, L.) et aussi les héroïnes françaises a-typiques au XIIIème s. (Rolland, M.).

En ce qui concerne le deuxième sujet:

"La parodia". Celle-ci est abordée dans Egidio, el granjero de Ham -Tolkien-, une parodie formelle des histoires chevaleresques qui ont modernisé le conte de fées, particulièrement, pour la connaissance spirituelle des adultes (Arce A., J.); la parodie est aussi abordée dans la «Batracomiomaquia», qui a servi de canon pour quatre des six épopées burlesques espagnoles de l'âge d'or (Bacells, J.Mª), ou l'élection des éléments parodiques, hyperboliques, et mimiques employés par Dario Fo comme une opposition au modèle culturel officiel (Barreno, A.).

On croit aussi que l'écriture parodique enfonce sa plume au centre du littéraire et que la moquerie n'est pas toute la parodie, même s'il existe une parodie "burlesca y algo más" (Blesa, T.). Enfin, la parodie est affectée par les relativismes de la réception de tout le phénomène historique, donc on y étudie ses "funciones literarias" (Domínguez C., J.).

En outre, la parodie -une interprétation de quelque chose déjà existante, chez Ulises: une oeuvre protéique- provoque une "mueca agridulce" à l'auteur qui établit un compromis avec le texte (Camps. A.); donc nous allons vers "la parodia homérica en el teatro español del s. XX" qui nous conduit depuis l'Ulysse tragique de Ballester, jusqu’à le héros -cynique- de Vallejo, ou bien jusqu’à le héros -bourgeois- de Gala (Casado, A.); c'est ainsi que nous allons voir une série de parodies de différents styles, parmi d'autres l'homérique, dans une oeuvre de James Joyce (Serrano-Sordo, M.).

«Notas para una teoría de la parodia» (Beltrán, L.) et son «uso contemporáneo» (Galván, F.) sont coïncidents, prenant comme point de départ Tynjanov dont l'évolution du concept de la parodie est implicite. Ces deux travaux documentés nous signalent la finalité de cette manifestation littéraire qui n'est pas déjà exclusivement burlesque, car de nouveaux usages nous invitent à une ouverture critique dans l'interprétation.

De la même manière, il y a le formalisme russe, qui a fait l’étalage d'une noble ambition sur ce genre: les parallélismes marqués entre la peinture de l'avant-garde et celle réalisée dans un domaine d'irrésistible montée: le texte filmique (Gavaldà, J. V.).

«Parodia, burla y sátira» sont les clefs de l'évolution «en el primer Góngora», dont on voie trois étapes (Pérez, A.). Un texte comme «Don Quijote» ne pouvait pas non plus de laisser d'être «parodiado», même s'il dépasse la valeur de ses imitations (Toledano, J.).

De la satire et de la parodie dans El Café, El gusto del día y La mujer varonil, des oeuvres surgies avec l'intention de discréditer les déviations esthétiques et morales du théâtre comique national (Rodríguez, Mª J.). L'intention de Juan Ramón Jiménez est le caricatural: la déformation parodique dans ses "caricaturas líricas" (Gómez, T.). Il y a de la Poétique de la post-modernité et de la praxis de la parodie dans Poesía (1970-1989) de Luis A. de Cuenca (Gómez-Montero, J.). Le confus alignement dans le cas de "J. Donne's Elegy" et des remarquables analogues dans la poésie européenne de la Renaissance (Klein, H.). Ainsi que les problèmes de la traduction de la parodie (Mildonian, P.).

Le souvenir de la légendaire maîtresse -celle au cou de héron- de l'Infant don Pedro -le fils d'Alphonse IV de Portugal-, donne lieu à sa parodie «en el teatro francés del XVIII» (Cots. M.). Et à l'aube du XXème s., entre l'hippotexte biblique et l'hypertexte de L'Immoraliste -Gide-, une relation de parodie et un dialogue intertextuel resteront établis: l'aspect fondamental de l'oeuvre (Vivero, Mº D.). Postérieurement, Cocteau se sert du mythe, dans sa version su Sophocle, pour élaborer une oeuvre -La Máquina Infernal- transie par des forces qui procèdent des mêmes personnages (Guillén, L. F.).


Sur tous les 28 travaux du troisième sujet "Viaje imaginario", il faut signaler que, pendant les derniers siècles du Moyen Âge, qu’on trouve des textes dont le lien est le voyage à l'au-delà comme une expression initiatique: San Brandán et La Faula sont différents, jusqu'à un certain point de vue, dû à l'époque et à la langue dans laquelle ils ont été écrits (Corbella, D.). Suite à la tradition des voyages extraordinaires à l'au-delà, on trouve aussi à Cyrano de Bergerac dans son aventure spatiale: L'Autre Monde (Alonso, A.). Provenant déjà de la tradition de Sannazaro, qui a laissé son empreinte dans les romans pastoraux espagnoles, on étudie cinq voyages oniriques dans ce genre (Berrio, P.).

«Stendhal en España» s'est occupé de nous confondre ou peut-être de se confondre: voilà sa «mascarada» face à ceux qui pouvaient le juger (Ballano, I.). La nostalgie que Cervantes éprouvait par Naples fut certaine (Fernández M., F.). Un siècle avant, à la Toscane, on écrit Il Guerrin Maschino qui ne s’agit pas d’un livre de voyages mais d’un romanzo cavalleresco (Baranda, N.).

Dans le voyage imaginaire, il ne pouvait pas manquer, la descente aux enfers d'Énée à la Vallée du Léthé (Fernández, J. C.), ni les espaces chez Verne qui démontrent les jeux des "cajas chinas": le lac dans l'île, le sub-marin dans le lac, l'abîme dans l'immanence de l'habitant du sub-marin (Matamoros, B.), ni «los viajes de Sindbad» d'un traducteur arabe fictif qui transcrit son prénom et ses origines à la langue arabe (García, Á. L.). On ne pouvait pas passer sous silence «los viajes bryceanos» entre le fictif, celui qui est intégré à la réalité fictionnelle, et le voyage de l'écriture (Fuente, J. L.). Nous ne pouvons pas non plus oublier «algunos casos particulares en el teatro de vanguardia» avec des innovations formelles qui posent le voyage en dehors des conditions normales de l'espace et du temps (Paulino, J.). Et, si l’on aspire à une forme de totalité, nous nous trouvons avec El Criticón (Mansberger, R.).

Nous assistons aussi à des faits qui transgressent les limites de la réalité historique: le premier voyage sous-marin dans la littérature grecque, l'immersion dans la panse dilatée d'un cétacé, la transformation de Lazare, et les voyages fantastiques d'Alexandre le Grand (García Gual, C.), donc au service de cette grande figure légendaire de la Macédonie, on verra aussi le crétois Nearco qui entreprit un voyage d'exploration par l'océan Indien (Gómez E., F.J.).

Le voyage est aussi un prétexte (Arce, Á.), un voyage intérieur dans une réconciliation de contraires (Diego, R. de) ou bien il est fantastique et imaginé dans la première décade après la découverte de l'Amérique (Kieniewicz, J.). Mais tout ce qui est ludique et fantasmagorique s'oppose à un autre voyage: la bohème, la recherche des "paraísos artificiales" (Robin, C. N.), la mort dans le conte hispano-américain (Bravo, C.) et la descente aux enfers dans les prisons de l'Inquisition (Romero T., L.).

Pour clore ce thème: «la escritura de Sor Mª Jesús de Ágreda», dans l'intimité de la littérature religieuse. «James Howell», un reconnu hispaniste d'une fiabilité douteuse. «Novalis y E.T.A Hoffmann» aux XVIIIème et XIXème siècles; et dans les textes contemporains, «Landolfi», «Gcíª Márquez», «Woolf, Michaux y Saramago» nous conduisent vers le voyage fabuleux, le mystère caché et aussi vers l'Autre dans cet espace vide pour l'immédiate confession du moi.


(1) Durán, Mª A., étudie Le Passé Simple de Driss Chraïbi (ma traduction avec ma préface et un glossaire de mots arabes et berbères, Del Oriente y del Mediterráneo, Madrid, 1994).


Anuario IX (1995)

«Breve presentación» de Carlos García Gual, qui était alors le Président de la SELGyC, nous sert d'ouverture à cet intéressant volume. Malgré tout et avec le risque qui implique, à nouveau, la synthèse de neuf prestigieuses communications présentées, il faut signaler l'intervention de J. Bessière avec des observations qui précisent ce qui pourrait être un approchement aux littératures du XIXème et XXème siècles, dans une perspective comparatiste qui reprend d'une manière précisément comparatiste et historique quelques-uns des principaux acquis de la critique contemporaine.

R. Cesarini se demande par les perspectives en Italie d'une critique littéraire menée avec une méthode comparatiste et une haleine européenne, donc, il va se servir des traductions en langue italienne (coïncidentes par hasard en 1992): Real Presences -Steiner- et Ruin the Sacred Truths -Bloom-, ces œuvres, comme terme d'opposition, lui ont servi pour donner un jugement total de signe négatif "sulla situazione della critica italiana".

Dans l'étude «la literatura comparada en América del Sur»: cette discipline est un instrument indispensable d'intégration continentale, et R. Carvalhal continue à signaler que c’est à partir des années soixante quand elle acquiert un statut de discipline académique et un domaine reconnu d'investigation. Cependant, cette étude -d'une longue tradition aux États Unis- est analysée par G. Gillespie dans les années 90; et elle "ha supuesto siempre una vaga coalición de subcampos que se entrelazan", depuis sa reprise après la II Guerre Mondiale.

Il y a quelques années, notre Cl. Guillén titra son oeuvre: Introdución a la Literatura Comparada: Entre lo uno y lo diverso, mais maintenant il considère qu’il est plus juste «lo uno con lo diverso» ou bien à l'inverse, car l'adéquation d'une "conciencia de unitas multiplex" reste plus fortement accentuée dans notre forme de percevoir la critique, l'histoire et la théorie de la littérature, et dans celle-ci la relation entre la répétition et le devenir "o la continuidad y el cambio". Ce comparatiste profite de l'occasion pour offrir quelque réponse à une même structure individuelle et sociale: "el exilio, experiencia, tema y sentido".

D'autre part, López Estrada, avec la disparition en 1993 de «W.P. Friederich, maestro del comparatismo», nous rappelle la vie de cet humaniste à la mesure de notre temps, qui a réussi un "eco en España". Eva Kushner admet que le titre de son travail, «literaly studies, cultural studies: the case for a cease-fire», dramatise la tension -observée pendant quelque temps- entre les deux études. Un état de tension pas nécessairement négatif mais qui signale la nécessité d'une attention.

Pour D.-H. Pageaux, la rencontre et la différence sont des mots clef de la littérature générale et comparée, et «l'imaginaire» est le plus personnel de l'homme par son alliance entre le souvenir et le rêve, tout au long de sa vie. Darío Villanueva affirme qu’il y a une "chispa de sentido estético" dans l’enseignement de la littérature, qui est enrichie par le vaste domaine scientifique de la littérature comparée à l'horizon d'un nouveau siècle.

Des pages indispensables de lecture celles de Mª. Hernández, M. Arizmendi, M. López Suárez et F. Galván qui passent en revue des manuels généraux du comparatisme et qui recueillent le caractère pionnier du travail de Cioranescu, le travail de Guillén, les études de Prieto, et quelques travaux de notre SELGyC.



Actas del X Simposio (1996)

Dans cette occasion, on célébra les vingt ans consacrés à promouvoir les études comparatistes dans notre pays. Le Symposium eut lieu à l'Université de Santiago de Compostela (le 18 au 21 octobre, 1994), il fut publié dans de deux gros volumes de plus de mille pages aux soins de F. Cabo Aseguinolaza et de son recteur, D. Villanueva, qui préfaça sa publication. Les trois sujets d'un grand intérêt répondaient aux préoccupations des comparatistes. Le 1er et le 2ème thème (vol. I) et le 3ème thème (vol. II).



1er.- "El paisaje en la literatura" -introduit par les conférences de Fco. Ayala ("El paisaje y la invención de la realidad") et de Cl. Guillén ("El hombre invisible: paisaje y literatura en el XIX")- a été le thème le plus nombreux avec 36 communications.

Ainsi, pouvoir peindre des gares, chanter des jardins dans la poésie du XVIIIème s. (Romero T., L.), l'irruption du train dans le réalisme espagnol et le naturalisme chez Zola (González, J. M.), la topographie du métro pour l'émigrant maghrébin face à la rêverie chraïbienne (Merino, L.), et des voyageurs devant le défilé de Pancorbo, depuis Baretti jusqu'à Laborde, derrière la trace des écrivains du XVIIème s. (Ortas, E.).

Une vision de Granada par El último abencerraje (Rajoy, Mª D.). Des paysages pastoraux aux rues citadines aux XVIème-XVIIème s. (Arredondo, Mª S.). La ville de Trieste chez Svevo ou celle de Paris chez Baroja et chez Clarín (Rodríguez, M.), mais toujours Paris, refuge/prison, chez le roman français du XIXème s. (De Diego, R.).

En effet, la métaphore du paysage embrasse tout le XIXème s., et selon les périodes: la période romantique avec des espaces ouverts, mais la période réaliste le délimite (Leguen, B.). Au XIXème s., le traitement du paysage permet le passage du discours descriptif d'un lieu marginal à d'autre central dont sa signification et son objectif sémantique s'incluent dans le projet nucléaire de l'univers textuel (Carvalh_o, H.), de même que le discours "salvatiano" -le représentant le plus emblématique de l'avant-garde catalane- maintient des relations avec la métropole (Gavaldà, J. V.).

Du paysage métaphore de l'histoire: J. Benet et Cl. Simon (Martínez, P.); des paradis perdus et la construction du personnage poétique: Ferrater, de Biedma et Barral (Cabanilles, A.), toutes ces visions paysagistes qui emmènent l'homme du locus horridus al locus almus (Cots, M.), dans une ouverture vers l'infini avec une rêverie "multifuncional"... jusqu'aux îles et des îles… -trois mille- chez la Grèce ancienne (Durán, Mª Á.).

Finalement: «Norte y Sur», l'influence de Machado dans la poésie italienne du groupe hermétique, chez Salvatore Quasimodo (Conde, A.). Et la "configuration inter-discursive" définie par Foucault, "ne nous sert pas à analyser la place, la nature du paysage en littérature", car ce critique n'établit pas un lien nécessaire avec la périodisation historique, pourtant il le faudrait, "tel est justement le cas de notre sujet" (Claudon, F.).



2ème.- "Literatura y juego" avec les suivantes conférences: J-P. Étienvre («Envites del talante literario: de Gil de Biedma al Lazarillo»); M. I. Spariousu («La crítica como juego: el ejemplo de los sabios victorianos») et G. Gillespie -presidente de la ICLA- («The relevance of irrelevance: games and puzzles in the humoristic tradition since the Renaissance»: le titre pour cette réflexion, sur l’impulsion ludique si proéminente dans la plus grande partie de la littérature occidentale, lui vint à l'esprit en Espagne dans les multiples allusions à Don Quijote).

Dans ce deuxième sujet, les communications ont été vingt-deux: Entre le phénomène ludique et le littéraire on trouve des affinités et des interdépendances (Poyán, D.), mais de tous les modèles du texte artistique, le théâtrale est celui qui est le plus proche au jeu, par exemple le conte VII,7 du Decamerón et la lecture très appropriée qui a fait de ce texte Casona (Hernández E., Mª.). Au début de ce siècle, le théâtre, qui voulait être moderne, doit inscrire des indices de théâtralité qui cherchent l'établissement de "contramímesis" chez le spectateur (Abuín, Á.). Tenant compte de ce concept de jeu et de théâtre, nous verrons des considérations sur "la métafiction": Jacques y su amo de Kundera (Álvarez, A.).

Dans l'ensemble, le jeu en littérature peut figurer comme un sujet romanesque -Le joueur, Dostoievski- ou comme un modèle narratif -Rayuela, Cortázar- ou comme des textes qui assument le jeu comme un principe de création, et qui l'emploient pour produire des effets de sens dans des niveaux différents:deux romans «ulpienes» d'Italo Calvino- (Keating, Mª E.). L'apport aussi de Nodier au romantisme triomphant (Zaragoza, G.). Mais qui boucle la boucle dans ce jeu avec le lecteur, c'est Chrétien de Troyes, mais la perspicacité de la lecture entre lignes ou l'érudition découvrent le grave stigmate qui pèse sur Perceval (Holzbacher, A Mª). Pour Ovide, chez la Rome classique et dans le livre troisième de l'Ars, on trouve le chant, la danse, la littérature, mais aussi le jeu qui faisait partie d’un nouveau style de la femme qui, avec sa séduction, devait incorporer tous les arts possibles (Fernández, J. C.).

Donc, si le monde est une comédie pour ceux qui réfléchissent et il est une tragédie pour ceux qui sentent, Dieu veuille que tous puissent trouver de l'enseignement et du "divertimento" dans les suivantes communications:

a)avec la documentation de "dos manuscritos vaticanos" afin de guetter à travers le rideau qui cache l'avenir (Cacho, Mª T.); b)avec les bouffonneries de la génération "menefreghista" italienne -qui se fiche de tout-: l'iconoclaste Palazzeschi éloigné déjà de la "etapa futurista" (Camps, A.); c)avec le "primer teatro" d'Arrabal: la cérémonie alliée à sa mémoire et qui, à côté du hasard, offre un sens au non-sens de la vie (García, Á.); d)avec les réunions des amants du XVIIème s., où l'on choisissait un couple extra-conjugal ce qui a donné origine au "chichisveísmo" -de l'italien cicisbeo-, également et devant le mari résigné, on jouait au tric-trac: la vie oisive présentée par le poète G. Parini (Arce, A.) e)et avec les "juegos y las cartas" dessinées par Torres Campalans, artiste-fantôme, alter-ego de Max Aub (Valcárcel, C.).

Maintenant, c'est de la compétence du lecteur de pénétrer dans le jeu sérieux de la fiction tout en développant des attitudes de surprise, d'allégresse, d'admiration, de fascination esthétique, tandis que Gogol -La nariz- et Galdós -¿Dónde está mi cabeza?- sont contrastés (Aguinaga, M.).



3ème.- "Literatura y multilingüísmo" avait été le sujet proposé, deux années avant, par l'Université de Santiago de Compostela qui, maintenant, est devenue l'aimable amphitryon. Il y a eu 16 communications:

Des manifestations des langues «babélicas» chez l'oeuvre de L. Mª. Panero, qui démontrent que l'ère d' Ezra Pound continue (Blesa, T.). Et à cette navigation dans la différence nous invite "el multilingüísmo, imprenta y nacionalidad" (Gullón, G.) et les multiples nuances chez l'écriture franco-maghrébine (Segarra, M.), ainsi que l'interculturel chez les langues slaves (Gcía Gabaldón, J.) et l'éloquence chez la littérature portugaise du XVIème s. (Herrera, Mª T.).


Également dans ce siècle, "las octavas aldanianas", sous une relecture de quelques textes-filtre, participent de l'universalisme linguistique en ce qui concerne l'adhésion poétique dans un seul pétrarquisme hispanique-italien (Barbolani, C.). De la contamination linguistique dans les livres "viajes medievales castellanos", au début d'un élargissement géographique des frontières: d’abord avec les mêmes topiques et d'une façon circulaire médiévale et ensuite, vers une ouverture totale lorsque le XVème siècle s'approche (Corbella, D.). Au XVIIème s., on employait déjà l'argot chez le roman picaresque: depuis le Guzmán de Alfarache jusqu'à El Buscón on peut observer comment se développe ce phénomène chaque fois plus artificieux (Gimber, A.).

Dans le langage des traductions -"de la construction de una coiné y renovación del canon"- est fort intéressant de suivre la trace des premières traductions, surtout lorsqu'il s'agit d’auteurs contemporains au moment même de la traduction; mais si les traductions ultérieures continuent à se citer, elles créent une espèce d'inter-texte international (Gallego, M.). Dans ce domaine, c’est bien important la formidable disposition des éditeurs: Barral, Janés, Moll et Ocampo, qui feront date dans le métier le plus beau du monde (Mérida, R. M.).

Elías Canetti -un point nodal privilégié dans la convergence de plusieurs cultures- et Paul Celan -le vertige multi-idiomatique-: "en los islotes germanohablantes" (Repáraz, Á.).

Samuel Beckett -"dos lenguas"-, vers une manière d'expression sans dette avec sa mère, et son solipsisme exagéré qui est compensé par "voces múltiples" externes ou internes qui ne sont prêtes à disparaître (Siess, J.). Finalement, le bilinguisme à l'aube de "la prosa gallega", qui n'a pas été un symptôme d'orientation dialogique du genre mais une solution monologique que les textes adoptaient (Vilavedra, D.).



Anuario X (1996)

Avec une odeur à l'encre récemment imprimée, ce volume recueille le XI Symposium -du 18 au 21 de oct., de 1996- au siège social de la «Fundación Juan March». Les suggestives conférences ont été les suivantes: "Fous et sots. Folie et sotie dans la littérature moderne", P. Brunel (Univ. París-Sorbonne, París IV). "Quijotismo y bovarysmo: de la ficción a la realidad", C. Castilla del Pino (Univ. de Córdoba). "Why literary historiography?", D. Fokkema (Univ. de Utrecht). "Un truco de la ficción histórica: el manuscrito reencontrado", C. García Gual (Univ. Complutense) et "Novela e historia", José Mª Merino (Écrivain).

Les suivants vingt-quatre travaux ont répondu aux sujets proposés:



1er «Ficción histórica»:

? Vázquez Montalbán -Asesinato en el Comité Central- et Cardoso Pires -Balada da praia dos c_es sont analysés afin de délimiter le postmodernisme, et afin de délimiter aussi sa version la plus textuelle d'un autre "historicista", avec des apports idéologiques intéressants pour le compromis historique de ces deux écrivains ibériques "a través de la ironía". Chez ces écrivains, le recours au genre policier suppose une attitude nettement ironique et aussi un recours vers la méta-fiction (Briones, A. I.).

L'historicité d'un poème a deux aspects: l'un des aspects vient de son caractère de signe ou de produit social, et l'autre aspect est vient du temps dessiné par le poème qui est archétypique, c'est-à-dire il est transcendantal en relation avec l'historique mais sans que cela suppose son abstraction. De cette manière, ce qui est attesté par le moi lyrique, en ce qui concerne le sujet éthique, c’est encore plus que le souvenir d'une action envisagée, c'est plus que le retour au lieu des faits déterminés: «en algunas poéticas contemporáneas» (Casas, A.).

En Angleterre et pendant le XVIème s., le roman historique (un moyen éducatif des masses populaires et un mécanisme d'endoctrinement idéologique chez des modèles moralistes victoriens) a surgi d'un carrefour: de l'adaptation aux nouvelles idées sur l'histoire sans perdre de vue les apports du roman expérimental au réalisme classique, donc «la ficción histórica» n'exclut pas «la metaficción historiográfica», de la même manière que cette dernière n'exclut pas la première (Galván, F.).

Dans l'histoire et sa relation avec la fiction et le discours littéraire dans sa relation avec la vérité -tout autour du mythique et du historique «Napoléon»-, le mémorialiste ou l'écrivain utilisent le même langage avec des projets différents bien qu'ils soient très proches: Las Cases; Balzac, Hugo et Stendhal; de Staël et Chateaubriand (Leguen, B.).

Dans «Sonnica la cortesana y Syncerasto el parásito» -«novela histórica modernista» d'un thème archéologique, on analyse les relations entre la fiction et l'histoire, en soulignant l'espace, le temps et la caractérisation des personnages: un voyage au passé afin de relire les auteurs classiques (Martínez, Mª P.).

"La noción del tiempo" est très importante dans la production littéraire de référence historique qui construit son propre modèle temporel d'écriture -«dualidad referencial»-: le référentiel dans son origine et l’auto-référentiel dans le procès discursif, configurant un monde fictif qui devient temporel par soi-même (López A., C.).

D'autre part et depuis quelque temps, les arguments en faveur de la «crisis» de l'Histoire n'ont pas laissé de s'organiser dans de différents fronts d'attaque. Mais comment la fiction va-t-elle répondre devant le «fin de la historia»?: deux exemples -Roa Bastos et Claude Simon- permettent d'éclairer quelques conséquences de ce changement dans le discours de la fiction historienne la plus récente et aussi la vision de l'histoire qui se manifeste à son travers (Martínez, P.).

Au souvenir de l'événement du «Saco de Roma», une littérature d'une grande valeur informative et référentielle est née (celle qui donnera lieu à des versions littéraires de différents genres) de même qu'une "poesía noticiera" dont deux courants vont se différencier: une commémorative et parodique et une autre élégiaque et plaintive dont sa valeur esthétique a été d'une qualité inégale (Vian, A.).



2ème «Locos y simples en la literatura y en el arte»:

Avant de Pinel et Esquirol, la folie était considérée comme une abolition complète et une étrangeté totale par rapport au monde commun de l'homme. La nouvelle folie va se trouver prisonnière et liée à une raison qui l'abolit. Donc, il y a deux textes du siècle de la raison (un texte anglais chez J. Swift et un autre français chez D. Diderot) dans lesquels il est possible de s'interroger depuis l'abîme de la "locura" et par la "razón" (Acinas, B.).



Un siècle avant, trois romans contemporains donnent une bonne preuve sur la littérature baroque dans leurs pays respectifs, et ils manifestent aussi des similitudes tamisées: Collinet, le fou de "corte-enfermo mental" dans «Francion» de Charles Sorel; «Estebanillo González», attribué à Gabriel de la Vega, qui rend digne -d’une manière cynique le métier de bouffon-; et «Simplicius» de Grimmelshausen, un inadapté dans un monde à l'envers (Arredondo, Mª S.).

Et voilà Yoha («De la nadira del simple en el ámbito árabe-musulmán y del Elogio de la locura en el Renacimiento francés») un représentant du gai visage de l'Islam qui appartient au folklore de toute la Méditerranéenne, qui n'est pas un esprit borné, mais qui fait l'âne pour avoir du son et qui est plein d’une vérité maquillée d'humeur. De sa main allons-nous-en au XVIème siècle, avec le bavard Panurge qui acquiert la réalité du conteur et du "bon gaultier" (Merino, L.).

D'autre part, une tradition de la Patagonie raconte qu'une nef recueille des marginaux et des fous, une sorte d'espace de rédemption face à la punition vécue. Et maintenant, -avec l'intention d'enfanter l'aliénation mentale- on met à l'eau la nef de «la literatura peninsular de finales y principios de este siglo»: la castillane et la catalane qui recueillent leurs traditions et la galicienne qui offre un profil plus personnel entre la tradition et la modernité (Madrenas, Mª D. y otros).

C'est bien dramatique la situation socio-politique contemporaine «chilena» qui s'est enfoncée dans sa «literatura»: la folie du Sátiro Bernardo Saguen, un personnage huidobrien; Neruda, tout proche de son éboulement psychique et avec sa "conversión" pas à Dieu mais au prochain, dans Estravagario; le parlant du poème «Saranguaco» de Nicanor Parra, fragmenté, paranoïaque; et «autolésión», sur le fond de l'électro-encéphalogramme dans Purgatorio de Raúl Zurita (Binns, N.).

Le désir d'abolir la frontière entre "folie et non-folie" mène les surréalistes au désarroi de thecniques qui permettent de dévoiler ces "zonas prohibidas" du moi -le va-et-vient vers l'incontrôlé bien connu par Breton-. Mais aussi dans l'écriture formaliste contemporaine -apparemment opposée à cette autre "aventura"-, tous les «delirios programados» signalent l’obtention de cette expression et de cette interrogation de l'indicible (Keating, Mª E.).

Pirandello avec Enrique IV et Unamuno avec El Otro «se enfrentan a la locura». Tous les deux brisent la masque préétablie à la recherche de la vérité mais d'une façon différente. Et la mort provoque la reconversion dans l'autre moi, chez les deux protagonistes (Martínez-P., A.).

Trois textes de différentes époques de notre modernité -Buero, Böll et Dostoyevski- ont une filiation avec le grand classique «cervantesque». Les trois représentent des genres différents, mais tandis que l'écrivain espagnol "quijotiza" une figure historique avec Goya, chez les auteurs allemand et russe leurs protagonistes sont des créatures de fiction: «locos cuerdos y cuerdos locos» (Naupert, C.).

Dans des langues et dans des époques différentes trois Ophélies s'opposent (Shakespeare, Rimbaud et Cunqueiro). Face à Ophélie,"l'originale", devenue folle et l’agent opérant de "la diégesis", s'élève son homonyme cunqueirienne, passive, estompée, sage. Face à cette liberté, le poète français garde de la fidélité avec le contenu et le haleine de la mort d'Ophélie dans le texte modèle (Sanfiz, C.).



3ème «Literatura epistolar y géneros literarios»:

Les magistraux études espagnols ressortiront, tout en centrant l'origine de la lettre (de même que d'autres genres chez la culture grecque) du point de vue diachronique et synchronique où l'on conjuguerait la théorie et la critique littéraire. Sauvons ces papiers fragiles, un gond entre son oralité et son écriture -nos critiques insistent-, sauvons son «polisemantismo y poliformismo» (Bastons i V., C.).

D'autre part, "la teoría retórica epistolar ha sido obstáculo para desarrollar la investigación estética"; car, généralement, l'esthétique littéraire a été laissée dans un état embryonnaire. En synthèse, le commun entre les diverses genres épistolaires est minimum, cela ne passe pas d'être le souvenir "fantasmal" de la lettre missive (Beltrán, L.).

Il y a déjà un quart de siècle que la correspondance des écrivains est devenue un sujet littéraire de plein droit -nettement référentiel pendant long temps. Dans le cas de La Recherche, la critique a oscillé entre deux positions (Proust laissa ouverte la question du genre). La vie de cet auteur, dans son énorme correspondance, a donné lieu à la renaissance de la critique biographique et à la relation cataphorique entre les lettres et l'oeuvre. Des chapitres -Un amour de Swann- ou des livres -Albertine disparue- démontrent que la lettre conditionne, contrairement, la relation amoureuse: «Carta ficticia en Proust» (Besa C., C.).

Il existe aussi la singularité du sub-genre «de la epístola en verso», donc, dans une étude comparative typologique: Manuel Reina et Adolf F. Graf von Schack sont des poètes dans une époque historique de restaurations politiques. Le poète allemand s'encadre totalement dans ce contexte; l'espagnol se place dans une conception moderniste dans la recherche d'une nouvelle justification du sub-genre (Gimber, A.).

Ce genre épistolaire est essentiellement dialogique entre une présence textuelle et une absence personnelle: la satire des valeurs de Pamela (menée à bien par Fielding avec Shamela et Joseph Andrews) nie le discours idéologique et culturel du roman sentimental de son contemporain Richardson. Il y a des exemples similaires dans d'autres littératures. En Espagne dans la littérature de moeurs et chez Valera (Morales, M.). En Angleterre et au XVIIIème s., on observe deux traits qui servent de cadre à l'étude comparée: l'emploie de la première personne avec sa complexité discursive -«Tristam Shandy»-, et dans un chef-d'œuvre, employant le genre épistolaire comme un vrai "pre(texto)". Toutes les deux sont un vrai exemple de l'hétéroglossie de l'époque (Martínez-D., J. L.).

Finalement, d'un grand succès dans la tradition épistolaire, la masque orientale comme un recours satirique dans la propre critique nationale et même universelle: depuis le XVIIIème s. jusqu'au XXème s. En Espagne Cartas marruecas. En Angleterre, l'humeur ingénieux de «Goldsmith» devient chez «Gray» une arme destructive (Losada, Mª).



Note: Le dernier Symposium célébré à l'Université de Huelva, dont j'ai déjà parlé, il est en presse. Les trois intéressants sujets présentés ont été les suivants: «El retrato literario». «Tempestades y naufragios». «Escritura y reelaboración».

C.- DU DÉFI DE LA LITTÉRATURE GÉNÉRALE ET COMPARÉE

Tous ses Symposiums démontrent un intérêt persévérant de beaucoup de professeurs et des chercheurs espagnols vers l'étude de la Littérature Générale et Comparée, même si elle n'existe pas encore dans les Universités comme une matière universitaire ni comme un domaine d'étude avec un caractère complètement autonome.

De toute façon, une nouvelle licence a été crée dans les Facultés de Lettres (Deuxième Cycle) avec une titularisation officielle pour toute l'Espagne: Teoría de la Literatura y Literatura Comparada. Il est tout à fait possible que plusieurs universités créent, prochainement, ces mêmes études (les pionnières "Complutense" de Madrid et "Autónoma" de Barcelona). Comme un grand ennui, devant une si bonne nouvelle, il faut signaler que, par l'un de ces paradoxes qui ne sont pas rares dans l'Administration Universitaire Espagnole, la Littérature Générale et Comparée n'a pas encore été reconnue comme un champ scientifique, ce qui signifie qu'il n'y a pas et qu'il ne peut pas avoir, pour le moment, des professeurs titulaires de cette discipline.

Et là où elle a été crée, d’une façon précaire, la Littérature Comparée continue à dépendre de la Théorie de la Littérature qui est un champ scientifique avec ses propres professeurs. Cependant, même s'il est convenable que la Littérature Générale et Comparée conserve de bonnes relations avec la Théorie de la Littérature, ce n’est pas très logique qu'elle tienne une situation trop subordonnée, éloignée d’une autonomie et enseignée sans compétence professionnelle, car en Espagne tous les professeurs de la Théorie de la Littérature ont une formation basée sur la Philologie Espagnole.

Lors de mes conversations avec des membres et des collègues de notre SELGyC, ils réclament cette reconnaissance qui puisse permettre la création de programmes, de départements, de postes de professeurs spécialistes en comparatisme, sans l'hypothèque académicienne qui suppose la situation actuelle.

La tradition littéraire Espagnole, considérablement riche, a peut-être souvent mené les professeurs de littérature -dans les Facultés des Lettres- à restreindre leurs objectifs au champ national et sud-américain, ou bien la routine des programmes d'étude -à l'excès étanches- a pu contribuer au retard qu'on a eu à inclure la Littérature Comparée.

Selon Carlos García Gual, tous les obstacles ne se trouvent pas dans l'Administration universitaire qui, au moins en théorie, proclame une certaine tendance vers l'ouverture des plans d'étude, mais ils se trouvent aussi dans la pratique habituelle de beaucoup de départements qui préfèrent maintenir leurs domaines bien délimités pour la commodité des professeurs. Cependant, il ne faut pas oublier que quelques professeurs des départements de Romanes et d'Hispaniques ont déjà introduit dans leurs perspectives les références fondamentales au comparatisme littéraire, et que beaucoup de thèses de doctorat ont été soutenues sous des points de vue comparatiste, dans nos Facultés.

Également, en Espagne, les départements en langues modernes et les études de traduction ont reçu un grand élan dans plusieurs universités (Madrid, Barcelona, Granada); et beaucoup de jeunes s'intéressent très vivement au comparatisme et à de nouvelles théories littéraires: une nouvelle sève vers une orientation plus critique et vers d'autres littératures qui puissent aider à surmonter des domaines scientifiques trop délimités.

Donc, on a des présages rénovateurs dans les prochaines années afin que ces études puissent se renouveler en liaison avec le reste de l'Europe et avec le Maghreb avec lequel on partage beaucoup de liens communs.

En conséquence, il faut considérer le travail de la SELGyC comme un point de départ d’un grand mérite, car elle a contribué à conjuguer tous ces efforts: elle a encouragé les professeurs et les chercheurs dans les différents Congrès, et elle a aussi poussé la création d'autres revues et la publication des traductions de textes très importants dans le comparatisme. La preuve de cet intérêt, c'est la création d'une nouvelle revue, vitaliste, dans la jeune Université de Huelva, Exemplaria (Márquez, M.Á.) ou la publication des nºs 7 et 8 de la revue Filología Francesa: des actes du Colloque International de Littérature Comparée (Univ. Complutense, avril 1994) et la suggestive mise à jour de «Literatura Comparada y Teoría de la Literatura» (en Cursos de teoría de la literatura, 1994).



1.- Tout en laissant de côté l'important travail de traduction, depuis des manuels comme celui de U. Weisstein jusqu'aux livres de Wellek-Warren, et de Pichois, Schemeling, Chevrel, etc., c'est inévitable que beaucoup de travaux universitaires et de livres dans une perspective comparatiste -venus de différents champs d'études- restent dans l'ombre. Mais dans ma vaste recherche sur ce thème, j'ai révisé les textes suivants -dû à leur grande importance-, sur ce qui a été écrit en espagnol dans de différentes lignes de travail, mais toujours dans le domaine comparatiste:
1.1.-

Cioranescu, A. (professeur d'origine roumaine avec une très grande publication en français et en espagnol) je veux seulement citer, Estudios de literatura española y comparada (1954) ou Principios de literatura comparada (1964), peut-être le premier texte théorique dans ce thème publié en espagnol (vingt ans plus tôt, il avait publié en langue roumaine Literatura Comparata, 1945); García Berrio, A., España e Italia ante el conceptismo (1968); De Riquer, M. La leyenda del graal y temas épicos medievales (1968); Lasso de la Vega, J. De Sófocles a Brecht (1971); Díez del Corral, L. La función del mito clásico en la literatura contemporánea (1974); Maravall, J.A. La cultura del Barroco (1975); Boixareu, M. El jo poètic de Carlos Riba i Paul Valéry (1978); Lafarga, F. Voltaire en Espagne (1734-1835) (1982); Arce J. Literaturas italiana y española frente a frente (1982); Mota, J. Richard Wagner y el teatro clásico español (1983); Alba Pelayo, Mª A. Unamuno y Green: un estudio comparativo (1989); Rodríguez, J. Antología de la literatura universal comparada: a través de la experiencia literaria, visual y musical (1991); García Gual, C. El zorro y el cuervo: diez versiones de una famosa fábula (1995) y La Antigüedad novelada (1995); Jiménez Millán, A. Entre dos siglos: estudios de literatura comparada (1995); Losada Goya, J.M. Tristán y su ángel: diez ensayos de literatura general y comparada (1995); Préneron Vinche, P. Madame Bovary-La Regenta, parodia y contraste (1996); Becerra Suárez, C. Mitos y literatura: estudio comparado de "Don Juan" (1997); Torre, E. La poesía de Grecia y Roma; Ejemplos y modelos de la cultura literaria moderna (1998); Jiménez M., A. Entre dos siglos (1995); Vega R., Mª J. La literatura comparada: principios y métodos (1998).



D.- DES THÈSES COMPARATISTES

J'ai fait aussi quelques recherches avec l'intention de donner à connaître les travaux espagnols universitaires dans ce champ scientifique. Donc, ci-dessous les thèses suivantes révisées:



1.- Université Autónoma de Madrid: Faculté de Philologie



2.- Université Complutense de Madrid: Faculté de Philologie



E.- QUELQUES ANNOTATIONS ESSENTIELLES SUR DES CHERCHEURS ESPAGNOLS PARTICIPANTS AU PIONNIER COLLOQUE DE LITTÉRATURE COMPARÉE EN ESPAGNE

1.- L'universalisme de Claudio Guillén



Cela arriva à l'Université de Santiago de Compostela -X Symposium de la SELGyC-, j'étais en train d'exposer ma communication sur la littérature maghrébine, et la porte s'ouvra. Discrètement, un homme s'assit: Sa taille, grande et athlétique, dût s'adapter aux étroits bancs de la salle. Au moment des questions, les siennes furent les plus subtiles. Je profitais de la voie qu'il m'offrait pour défendre encore mieux ma thèse exposée. Peu après, je lui envoyais une lettre -pièce d'écriture offerte à un ami comme un cadeau-, où j’amplifiais, scientifiquement et littérairement, ma réponse. Il s’en réjouit.

De nos jours, Claudio Guillén -fils du poète espagnol Jorge Guillén- est l'un des plus prestigieux comparatistes espagnols, qui possède une ample base en théorie littéraire, avec une pratique philologique dans le maniement des textes littéraires qui fait autorité. Il s'est instruit surtout aux États Unis, et il peut être considéré comme un élève de deux grands maîtres des études comparés américains, Réné Wellek et Harry Levin. Dans sa "marche" -enlacée à ses interventions dans beaucoup de congrès internationaux et pendant son travail académique par de différentes universités espagnoles et étrangères- s'est forgé son indiscutable renom, inexcusable, pour celui qui s'intéresse à l'histoire, au développement et à l'évolution du comparatisme littéraire.

De cette perspective œcuménique, par-dessus n'importe quelle tendance d'école, ce scientifique s'est posé dans ses essais: les genres (Critica e Storia Litteraria. Studii offerti a Mario Fubini, Padua, 1970); la thématologie (Romanische Forschungen, 1955); la périodicité (Neohelicon, 1973); le concept "d'influences" qu'il renouvelle, tout en les proposant comme des champs de systèmes et en rejetant la perspective individuelle de l'ancien comparatisme (Literature as System, 1971); et la traduction et la révision à l'espagnol «De influencias y convenciones» (mon compte rendu dans 1616, Anuario II).

Son article sur «Perspectiva de la Literatura Comparada» -dans le Boletín Informativo del Seminario de Derecho Político (Univ. Salamanca, 27-8-1962, pp. 57-70)- a été la semence du splendide texte comparatiste d'une grande importance: Entre lo uno y lo diverso. Introducción a la literatura comparada (1985). Discipline soutenue dans une perspective historiographique et supranationale, de la même manière qu'elle a son soubassement dans la théorie littéraire ["la estructura interna de nuestra disciplina es, en suma, la tensión o polaridad que existe entre distintos grados de teoreticidad"].

Ce caractère dynamique de la littérature comparée -ouverte à de continuelles et de futures formulations- connote, encore plus, avec son caractère "dialogique" ["un nuevo diálogo se entabla, no ya entre localidad y mundo, sino entre devenir y continuidad"]. Guillén développe une vision diachronique de la Littérature Comparée, depuis son élan initial dû au Romantisme jusqu'à déboucher sur les deux tendances définies du comparatisme: la Française et l'Américaine qu'il appelle «horas», rejetant le terme d'écoles. L'intention finale de Guillén est la construction d'un modèle d'étude dans des conjoints supranationaux des relations littéraires intemporelles et interculturelles. Un modèle qui possède une capacité pour la pluralité des durées et des procès ainsi que pour la pluralité des styles.

Mais ce texte de Guillén (d'une grande maîtrise sur de multiples domaines linguistiques et culturels, d'une grande attention à tant d'aspects et de méthodes et à des écoles du comparatisme international: chaîne savante parmi des positions fréquemment très diverses) a été forgée surtout dans les salles universitaires: un dialogue instructif et cordial parmi les élèves plutôt qu'un débat interminable avec des collègues. Si Guillén revient sur des questions anciennes, dans une continuelle rénovation scientifique, c'est afin d'obtenir des résultats fructueux qui mènent à d'autres nouveaux problèmes d'un pouls actuel, dans une vraie nécessité de cette discipline afin de la pouvoir surmonter. Ainsi, dans sa préface à son oeuvre Teorías de la historia literaria (1989), on voit que le comparatisme est la "nourriture" de ce critique "bon marcheur" et universel. Son grand métier littéraire se trouve dans son essai sur la littérature de l'exil: El sol de los desterrados (1995).

Son travail académique se complète avec de remarquables responsabilités administratives : celle d'avoir été vice-président de l'AILC. En Espagne, il a été le président de notre SELGyC.



2.- Vigoureuse communication humaine d'Antonio Prieto



Je n'ai eu que deux relations personnelles avec l'illustre professeur italianisant. La première fut le téléphone: il remercia gentiment mon intérêt par son oeuvre. La seconde, peu après, à travers les vastes vagues de papiers que mon fax jetait, et qui me faisaient reculer dans mon petit refuge d'étude. Le "compositeur" d'une si belle, comme surprenante symphonie, se trouvait de l'autre côté de mon fax, et dans ses mains étaient des savantes observations comparatistes ainsi que des suggestifs méandres poétiques: El Decamerón, El Conde Lucanor, La lozana andaluza, Les Fabliaux, El Lazarillo..., qui étaient expliqués d'une vigoureuse communication humaine dans son travail et quotidien dialogue de poète entre professeur, critique, et amant de l'écoulement de la vie: sa préface à la traduction du texte de Weisstein (1975) ["libro que levanta anclas y navega por un mar -con sus peligros- de renacer comparatista"].

Dans ces pages prennent vie ses propres réflexions les plus soignées et les plus soupesées sur sa théorie sur la littérature comparée, déjà esquissées comme professeur à Pisa (Miscellanea si Studi Ispanici, 1966). Pour Prieto, l'œuvre est [existe] parce que quelqu'un la fait sortir hors d'elle-même (peut l’interpréter), et cette oeuvre (ou bien la fortune d’un vers qui séduit à celui qui suit sa trace comparatiste) est différente -avec de différentes fonctions- lorsqu'elle est appréhendée par un autre auteur ou par des autres auteurs. C'est-à-dire que l'œuvre s'exprime par contraste ou par opposition, comme l'élément le plus caractéristique, et non par les excès monocordes d'analogie, la source et l'influence (Prohemio I, 1970).

Prieto plaide pour un comparatisme éloigné de l'obsédante recherche de relations érudites ou du registre des sources (qui ont mis la littérature comparée "en olor de cementerio"), mais il défend la contamination à l'intérieur de l'intercommunication disciplinaire ["nacida en el propio mundo donde surge el comparatismo en sus muy diversas prácticas"], et il s'oppose, en principe et comme méthode de travail, à la définition de Pichois et de Rousseau.


Cependant, tout en évitant les controverses qui pourraient se présenter, le comparatiste ajoute que ce "champ" ne se ferme pas avec la préférence par la recherche de thèmes communs pratiquée par une partie de l'école comparatiste allemande, ni ne se ferme pas non plus avec ce qui a prêché une parcelle de l'école française. Et, bien sûr, il ne se ferme pas non plus dans la défense d'Étiemble, la poursuite de sources littéraires dans sa Littérature comparée, ou comparaison n'est pas raison (Rev. Litt. Comp.,, París, avr-juin, 1969, pp. 233-247). Pour A. Prieto, la littérature comparée -en plus de son caractère supranational- est aussi une discipline d'une propre spécificité.

On ne peut pas laisser de signaler sa connue Morfología de la novela, une étude dense d'un genre et d'une structure narrative dans ses multiples développements, dans laquelle on étudie depuis le roman grec jusqu'aux romans pastoraux de la Renaissance italienne et espagnole. Selon Hernández, E., Mª: Prieto "armoniza críticamente en el concepto de novela tanto la estructura subjetiva, el yo del autor, como la estructura objetiva, la histórica, que se fusionan dinámicamente para componer un texto fijado ineludiblemente a una cronología histórico-social".

Sa féconde trajectoire est déjà longue dans le temps, depuis ses préfaces dans la collection Maestros italianos (années 70) jusqu'à son important travail d'éditeur dans la coll. Ensayos Planeta ou sa direction de la coll. "Grandes Narradores" de la même maison d'édition, pour ne citer que ce travail comparatiste estompé dans son énorme activité critique dans deux volumes, fondamentaux, sur Poesía española del siglo XVI y Prosa española del siglo XVI (1987) ou sa récente édition de Boscán et Garcilaso (1999), ainsi qu'un travail de prochaine publication dans Studi Ispania.

Sans doute Antonio Prieto est un bon exemple de cette ligne de travaux qui existe déjà dans les Universités espagnoles. Et, devant tout ce savoir qui essaye de s'élever, il ne perd pas de vue la dimension humaine.

Il est Membre de "La Academia de Buenas Letras de Barcelona".



3.- Francisco López Estrada, un humaniste de la littérature



Un certain jour, j'étais debout, longuement et profondément, plongée dans mes recherches tout en prenant part au "festin" d'un fichier de la bibliothèque de l'Université Complutense. Sans savoir pourquoi ni comment, j’ai «ressenti» une présence à mes épaules qui me contemplait. Affligée -car j’avais passé beaucoup de temps devant le fichier-, je me suis retournée: Un homme âgé d'un aspect fragile, élégant, discret, souriait d'une sérénité ébauchée dans sa pupille en alerte. - Pardonnez-moi, dis-je, j'étais en train de travailler sur López Estrada, vous pouvez, peut-être, m'aider..." - "C'est moi-même. Vous savez, je ne suis pas encore une fiche...!" -m’a-t-il répondu

Toast au hasard! Avec un plus grand intérêt pour l'homme scientifique, je me suis plongée dans son oeuvre.

Le regard scientifique, profond, de L. Estrada et son vaste travail philologique et critique se projette dans une perspective temporelle qui progresse depuis les origines médiévales jusqu'aux avant-gardes de notre temps: Un mouvement que L Estrada continue à innover, tout en comparant et conservant dans le procès continuel de conformation de l'œuvre littéraire.

Son texte Introducción a la literatura medieval española -texte irremplaçable depuis 1952 et dans ses éditions successives- est seulement compréhensible dans la tradition espagnole à laquelle il appartient: Menéndez Pelayo, Menéndez Pidal, Dámaso Alonso ou José F. Montesinos. Déjà dans sa deuxième édition, un regard "structurel" s’est accentué sur les ouvres littéraires et, par la suite, son expérience critique continue à assimiler de nouvelles tendances théoriques: les formalistes russes, la nouvelle rhétorique et la poétique d'origine structuraliste, la sémiotique et l'esthétique de la réception. Dans l'Espagne de "los Austrias", López Estrada découvre une projection du Moyen Âge. Par exemple dans Fiestas (Bulletin Hispanique 84, 1982), il étudie la relation entre celles-ci et la littérature: le transvasement de la tradition courtoise et populaire médiévale, chevaleresque, sentimentale, et, dans un mouvement circulaire continuel, son retour à la littérature. Ce critique explique que "la mezcla de elementos heterogéneos, la continuidad sin cortes desde la Edad Media, la extensión generalizada de esta práctica exige un estudio comparativo con el resto de Europa".

Son œuvre, Poética para un poeta (1972), est structuré et envisagé avec trois exemples contemporains: Antonio de Trueba, Narciso Campillo et Gustavo Adolfo Bécquer. Dans son étude Rubén Darío y la Edad Media (1971), L. Estrada considère "la interacción de la poesía medieval como las modas finiseculares francesas en las opciones del poeta en materia métrica".

Si tous ces travaux sont fondamentaux, dans son livre sur la présence de Tomás Moro en España, 1980 (une figure historique et littéraire qui écrivait en latin), López Estrada étudie les versions qu'on a fait sur l'Utopía jusqu'au XVIIIème s., et comment Quevedo -d'une manière générale et lecteur occasionnel des textes de Moro- a traité ses oeuvres.

Les travaux comparatistes de L. E. sont très nombreux: "La influencia italiana en La Galatea de Cervantes" (Comparative Literature, 4, 1952), "Las Bellas Artes en relación con la concepción estética en la novela pastoril" (Anales de la Univ. Hispalense, 14, 1953) ou "Don Juan Manuel y Marcial" (Revue de Lit., Comparée, 51, 1978).

Il faut avoir entre les mains le respectueux "Homenaje" -comme professeur émérite- que l'Université Complutense de Madrid lui a dédié, pour pouvoir apprécier l'admiration que sa trajectoire académicienne et scientifique suscite, ainsi que l'empreinte de son humanisme dans le Département de Littérature Espagnole dont il a été son directeur.

L'Assotiation d'Hispanistes dont il est le Membre fondateur, l'a nommé vice-président (1983-1989) et plusieurs Corporations académiciennes l'ont désigné Membre de numéro. La même reconnaissance s'est manifestée dans les décorations des pays étrangers. Sa vaste bibliographie est témoin incontestable de son travail permanent.



CONCLUSIONS

Tout au long de mon travail qui n’est pas une bibliographie habituelle (quatorze volumes dont un numéro double), mais une lecture exhaustive, détaillée, appuyée sur des démonstrations d'opposition et de contamination à l'intérieur de toute une voie interdisciplinaire, de l'expérience de la littérature, de sa fonction et des meilleures formes de penser ses rapports avec les autres arts, avec les sciences sociales et naturelles.

Au total j'ai analysé quatre Préfaces (L. Estrada et De Riquer: An. I; Villanueva: "Actas del X Simposio"; García Gual: An. IX). Treize Conférences: dix en langue espagnole: Bataillon (An. I); Cioranescu et Ynduráin (An. VIII); Ayala, Étienvre, Guillén et Spariosu ("Actas del X Simposio", vol. I); Castilla del Pino, Carcía Gual et Merino (An. X); une conférence en langue française (An. X: Brunel) et deux en langue anglaise (Gillespie: "Actas del X Simposio", vol. I; Fokkema: An. X). Toutes ces préfaces ont été l'antichambre des deux-cent cinquante-six travaux que j'ai aussi étudiés et j’ai résumés devant le nom et prénom de chaque auteur, tout en cherchant, dans leurs analyses, les possibles rapports, des interférences ou des oppositions des différents travaux exposés, dans l'esprit de rendre ma lecture la plus agréable et simple possible.

Je désire attirer votre attention sur ce fait: depuis "El Primer Coloquio de Literatura Comparada" (1974) jusqu'au dernier "Anuario X" (1996), il y a eu neuf travaux en langue française (An. I; An. IX; An. X; "Actas IX Symposium", vol. II et "Actas X Symposium", vol. I et vol. II), deux travaux en langue anglaise ("Actas IX Symposium", vol. II; An. IX), deux aussi en langue italienne (An. IX; "Actas IX Symposium", vol. II), cinq en langue catalane (An. VI-VII), et un travail en langue galicienne ("Actas X Symposium", vol. II) et un autre en langue portugaise ("Actas X Symposium", vol. I): Tous ces travaux ont été étudiés dans mon travail.

Dans la grande majorité des travaux, on peut apprécier la qualité analytique, l'énorme richesse de possibilités des mises au point historique-critique et littéraire qui se sont développées et qui se sont affinées dans le dernier Symposium.

Cependant, depuis une analyse (parmi d'autres) diachronique -la perspective historique-, dans sa conjonction avec l'analyse synchronique -précise- où les différentes théories et critiques littéraires se conjugueraient, il faudrait être toujours sur nos gardes à la syntonie entre ces deux analyses, afin d'éviter -ou de continuer à éviter- les possibles mauvaises mises au point.

D'ailleurs, dans la qualité lyrique -enlacée à la scientifique- de quelques travaux et dans toutes les conférences, il y a une quête entre cette érudition touffue et une préoccupation profonde pour le plaisir sensuel de la vie, ce qui rend possible "l'aventure" de chercher un sens encore plus nécessaire à l'étude de la Littérature Générale et Comparée afin de la pouvoir surmonter.

Outre cela, j'ai porté mon investigation aussi à la révision d'une vaste lecture sur des textes écrits en espagnol, sur leurs différentes lignes de travail, mais toujours dans le domaine comparatiste, dont il faut signaler le texte pionnier de Cioranescu. Et avec ma pulsion de donner toujours à connaître les travaux espagnols universitaires dans ce champ scientifique, j'ai fait quelques recherches sur plusieurs thèses défendues aux Universités "Complutense" et "Autónoma" de Madrid.

J'ai aussi apporté quelques données essentielles sur la prestigieuse trajectoire universitaire de quelques professeurs espagnols ainsi que sur leurs importantes publications scientifiques: Claudio Guillén, le plus connu dans le domaine hispanique et universel, ayant une profonde et très vaste connaissance de plusieurs langues, des littératures, et des pratiques philologiques qui font autorité. Antonio Prieto, italianisant, un grand connaisseur de nos classiques espagnols du siècle d'Or. Traducteur du texte de U. Weisstein (1975), éditeur d'excellents travaux, il a beaucoup stimulé les études comparatistes. Francisco López Estrada, un humaniste de la littérature, son vaste travail philologique et critique se projette dans une perspective temporelle qui progresse depuis les origines médiévales jusqu'aux avant-gardes de notre temps: Toutes les trois personnalités mentionnées ont participé dans l’aventure heureuse du Primer Coloquio de Literatura Comparada (1974) célébré en Espagne.

Finalement, j'ai aussi décrit la situation de cette discipline comme un défi dans nos Facultés de Lettres: quoiqu'une nouvelle licence (Deuxième Cycle) soit créée, la Littérature Générale et Comparée n'a pas encore été reconnue comme un champ scientifique autonome. Ce retard est peut-être dû à l'un de ces paradoxes dans notre Administration universitaire, ou bien à la routine des programmes d'étude basée sur une riche tradition littéraire espagnole et sud-américaine. Malgré tout, il y a de bons présages rénovateurs.

À ce défi, La Sociedad Española de Literatura General y Comparada s'érige en qantara, passerelle, entre les rives de l'Orient et l'Occident. Si j’ai réussi à transmettre son parfum : La puissance créative, accueillante, de ce bastion qui est aujourd'hui cette Société, remerciez-vous la qualité scientifique des travaux ici présentés.

Mon authentique pulsion a été d'apporter de la lumière sur cette tribune espagnole à tous les comparatistes ou chercheurs de la théorie de la littérature, de la critique littéraire, etc. Mais, je n'oublie jamais les hispanistes arabes, qui sont avec nos arabisants espagnols pile et face de nos liens culturels et d'amitié qui datent depuis longtemps.



Resumen del trabajo:

O.- Présentation

A.- ORIGINE ET TRIOMPHE DE LA LITTÉRATURE COMPARÉE: I COLLOQUE (1974) Su gestación así como todos los trabajos recogidos


B.- VINGT-CINQ ANS DE COMPARATISME ESPAGNOL DANS 1616 ET DANS LES ACTES DES SYMPOSIUMS : Su Historia, sus Presidentes, Sus Secretarias.

Anuario I (1978) : Del I Coloquio del que trato en el apartado B.-, se publican los trabajos de los siguientes conferenciantes: Étiemble, Guillén, Smerdou et Sötér, con el «Discours inaugural» de Bataillon y «Préface» de López Estrada.
En este volumen se publica igualmente el I Simposio (1977) con trece trabajos analizados.
Anuario II (1979) : Cuyos trabajos han sido analizados en cuatro apartados con subapartados
Anuario III (1980) : Resumen de los trabajos
Anuario IV (1981) : Trabajos seleccionados en cuatro apartados
Anuario V (1983) : Presentados en torno a dos temas
Anuario VI-VII (1988) : Aglutinados en tres temas
Actas del VI Simposio de la SELGyC (1989)
Anuario VIII (1990) : Trabajos ceñidos a dos temas
Actas del IX Simposio (1994) : Analizados en tres temas
Anuario IX (1995) : Trabajos en torno a la Presentación de García Gual
Actas del X Simposio (1996) : Recogidos en dos gruesos volúmenes de más de mil págs. Todos los trabajos los he recogido en torno a los tres temas que respondían a las preocupaciones de los comparatistas
Anuario X (1996) : 24 trabajos analizados en tres temas

C.- DU DÉFI DE LA LITTÉRATURE GÉNÉRALE ET COMPARÉE

D.- DES THÈSES COMPARATISTES en la Universidad Complutense de Madrid y en la Universidad Autónoma de Madrid.

E.- QUELQUES ANNOTATIONS ESSENTIELLES SUR DES CHERCHEURS ESPAGNOLS PARTICIPANTS AU PIONNIER COLLOQUE DE LITTÉRATURE COMPARÉE EN ESPAGNE
  1. - L'universalisme de Claudio Guillén
  2. - Vigoureuse communication humaine d'Antonio Prieto
  3. - Francisco López Estrada, un humaniste de la littérature


CONCLUSIONES

“Adonis”, hombre de ecos prístinos en libertad de poesía árabe en cuya mirada se lava la historia
("Persuasión del acto poético para re(inventar) el mundo", Nuevas del Aire, Madrid, nº 39, mayo 1996 y "Adonis un hombre de andadura", El Mundo, Madrid, 17/11/1997)

“Adonis”, hombre de ecos prístinos en libertad de poesía árabe en cuya mirada se lava la historia

Leonor Merino (Drª Universidad Autónoma, investigadora, traductora)

Publicado con el título: “Persuasión del acto poético para (re)inventar el mundo”, Nuevas del Aire (Madrid) nº 39, mayo 1996, pp. 27-28: con motivo de la traducción Homenajes.
Y con el título: “Adonis”, un hombre de andadura en el periódico El Mundo (Madrid) 17/11/1997, p. 45, con motivo de la traducción Canciones de Mihyar el de Damasco. El que ahora se publica es una recopilación de los anteriores trabajos.


Alí Ahmad Saíd Ésber, “Adonis”, nació en la aldea de Qasabín (1930), próxima al Monte de los Alauíes, en esa zona del Norte de Siria, cuna de remotas culturas. Cursó estudios primarios y secundarios bilingües -árabe y francés- en Tarso y, más tarde, gracias a una beca, amplia estudios en el instituto de Lakatía, moderna población marina que, por aquel entonces, era descubierta y estudiada por arqueólogos y lingüistas. Luego, se traslada a la Universidad de Damasco -que acababa de estrenar independencia- donde obtiene la licenciatura de Letras (rama de Filosofía) en 1954. De esa época juvenil data su bautismo en la poesía así como el pseudónimo que adoptó Adonis.

Nombre que no deja de extrañar, puesto que, en Occidente, simboliza la muerte anual de la naturaleza, los esponsales de la tierra con la primavera y la renovación vital que le sigue. Y en Oriente, se refiere a una cultura no árabe, no musulmana. Pero es el mismo Adonis quien mejor lo clarifica: Firmando así salía de una tradición estática y accedía a una libertad de vasto campo. De esa forma, podía situar la tradición misma en el movimiento de la cultura universal. Con la elección de un nombre, transformaba un poco la presencia del poeta en tierra árabe.

Adonis, dedicado ya al periodismo, primeramente en Damasco, se traslada en 1956 a Beirut. Son momentos en los que la poesía árabe bulle en la misma escructura del verso. Se trataba entonces, de transgredir el tabú, de romper con una tradición ciertamente bella, pero con formas estáticas que obstaculizaban a la nueva generación. Paso de inmenso alcance simbólico, transformado en movimiento y plasmado en dos revistas libanesas. Los poetas comprometidos se agruparon en torno a al-Dab (Letras), fundada en 1954 por el novelista Suhail Idris, mientras que la revista Si'ir (Poesía), creada en 1957 por Adonis y el crítico libanés Yúsuf al-Jal, reivindicaba la libertad de creación y la variedad de estilos.

La polémica entre esas dos tendencias fue áspera, dura, pero de gran importancia, puesto que marcó la vida literaria de los años 50 y 60 en los que el poeta árabe moderno encarnaba la mutación de la civilización. Los poetas, comprometidos y realistas (cuyo jefe de fila fue el iraquí al-Bayati), reprochaban a sus adversarios ser subjetivos y herméticos. Y los poetas, que se identificaban con la revista Si'ir, acusaban a los partidarios del realismo, de no atravesar la superficie de las cosas de confundir poesía e ideología.

De esas corrientes diversas, el acto poético se convertía en acto global y, mucho más allá de las tendencias y de las estéticas, los poetas contribuyeron, cada uno en su forma, a lo que podría denominarse la modernidad poética árabe, de la que Adonis es representante esencial, pues bajo su auspicio los jóvenes poetas actúan ya con un mayor sentido de grupo o generación. Por eso al dejar de publicarse aquella revista en 1964, Adonis crea, cuatro años más tarde, en 1968, una auténtica tribuna, encrucijada y punto de reencuentro privilegiado de la cultura árabe: la revista Mawaqif (Situaciones).

Entre esos dos importantes hitos, en los que la poesía árabe bulle en la misma estructura del verso, se forja la trayectoria poética de Adonis y de una forma definitiva: Primeros Poemas (1957), Hojas al viento (1958), Canciones de Mihyar el de Damasco (1961), El diván de la poesía árabe (ensayo en 3 vols., 1964), Libro de las huídas y mudanzas por los climas del día y de la noche (1965).

Su fructífera y brillante producción poética y ensayística continúa, y entre ella destacamos: Epitafio para Nueva York, Tiempo de la poesía, El tiempo, las ciudades y Crónica de las ramas. Tampoco se puede silenciar su trabajo de profundo lector de literatura universal, puesto que Adonis ha dado a conocer al lector árabe las obras completas de Georges Schéhadé, gran parte de la obra poética de St. John Perse y de Ives Bonnefoy, entre otros destacadísimos autores. Y para el lector francés, ha traducido la poesía de gran originalidad y sutileza de Abu l-Ala al-Maarri (973-1075).

Esa cualidad universal (reflejo en su poesía) es la esencia de la escritura de Adonis, heredada, al mismo tiempo, de su propia lengua árabe y del aliento que llega de otros mares. Tal vez por eso este poeta se encuentra cómodo entre nuestras culturas occidentales. Tal vez por eso las traducciones de su obra se multiplican, como la de Homenajes (1995), traducida por Mª Luisa Prieto. Se trata de un poemario estructurado en catorce capítulos que abarca un vasto campo temático. Adonis rinde "Homenaje" al poeta ciego Al-Maari, que ensambló las palabras con el espacio.

Estos versos de Adonis son ráfagas impresionistas de cierto tono profético heredado de la tradición árabe. Versos que son flujo y reflujo: perpetuo movimiento de interrogantes, perdurable intento de explicar el mundo.

Esta obra de reflexión y de clarividencia, intuición y combate, es todo un testimonio de una búsqueda paciente, de una erudición domeñada, de una vasta perspectiva y de un replanteamiento que espera, sin cesar, preguntas nuevas. Adonis vive como poeta por donde quiera que va. Siempre se encuentra en casa puesto que habita en su propia lengua y en su poesía. “Al poeta -nos dice- se le considera portavoz y su elección es sencilla: o ser agente o bien convertirse en blanco. En raras ocasiones, en el mundo árabe, es posible mantenerse distanciado”.

Y, mientras, su obra se sigue traduciendo y ahora son las Canciones de Mihyar el de Damasco (1997) que fue el primer libro poético del autor que apareció en lengua europea occidental, aunque no fuera en versión completa, y que tradujo, en 1968, el insigne arabista Pedro Martínez Montávez, es decir, la tercera parte del contenido de la obra original que Adonis dedicó a su mujer, Jálida, también poeta. La edición actual, traducida también por el mismo arabista a petición del autor, es la versión íntegra del poemario. Y los salmos (mazamr), poemas-prosa como poemas-cuadro, son preludios introductorios a los capítulos y están traducidos por Rosa Isabel Martínez Lillo.

Pero, ¿qué son estas canciones de Mihyar? (el nombre del personaje se relaciona con una raiz árabe que tiene especialmente el sentido de "caer"). Son el canto de un hombre, criatura poética, que es historia de andadura, que se “hace camino al andar”, que retrata paisajes alambicados, taraceados, que son el alma impresionista de la nación. Su voz poética, errante, es testigo de su fuego interior. A cada instante, que se detiene, transfigura el objeto exterior, dando vida a lo inanimado: nubes, vientos que nacen, persiguen y alumbran...; inanimando lo animado: hombres que se hacen piedra, mujeres de dolores y de sílex...

Y, al distinguir la religiosidad de la creencia, su discurso desconcierta al dogma. Huérfano del ser, requerido para romper los ídolos, su misticismo ya no está en Dios, puesto que se deshace en esa marcha hacia lo indecible. Así se escucha la voz mítica y doliente de Mihyar por los blancos caminos del exilio, que tiene por fronteras/ la ola y el relámpago./ Por banderas, los párpados.

La sustancia poética de Canciones de Mihyar el de Damasco es canto de absoluta libertad, bocanada de aire fresco e innovador, frente a los uniformes cánones de metros, pies, ritmo y rima fijados en el inmenso legado antiguo de su lengua árabe. La musicalidad ya no está delimitada sino que revolotea con acordes emitidos por el dolor, la alegria, la errancia, el pecado, el descreímiento, toda esa miseria y grandeza que gravita en el hombre, en el poeta, en contacto con el alma de la nación, fuente de inagotable vida.

El canto que desgrana Mihyar el de Damasco, al columbrar en lontananza paisajes y ciudades, es eco de relatos babilónicos, cánticos bíblicos, homéricos, quejido susurrante de místicos sufíes con un fondo musical de leyendas orientales, donde sopla un viento de profecía.

Mihyar el de Damasco es el poeta heraclitiano del fluir de las cosas y sus cambios, es el profeta de tierras galileas, es un hombre de mensaje y una voz de nuevos testamentos.

El poeta se impregna y alimenta de un árbol que se despliega en doble genealogía: Hölderlin, Rilke..., y al Hal-lach (importante místico irano-iraquí, nacido el año 857 y ejecutado en Bagdad en el año 922).

Adonis ha estructurado este poemario de “canciones” en siete apartados o capítulos, enlazados por el hilo conductor del constante decurso de las cosas, con su voz en pleno sabor de libertad: El jinete de las raras palabras, El brujo del polvo, El dios muerto, Iram de las columnas (legendaria ciudad anteislámica), El tiempo pequeño, La punta del mundo y La muerte reiterada. Y de la misma forma que en los “salmos” el verso y la prosa se aunaban con luminosa belleza, así también se hermanan con armonía en las dos Elegías que clausuran el libro: “Elegía de los días presentes” y “Elegía del siglo primero”. Con ellas, el poeta pretende dotar a la obra de arte de una visión salvadora, ante esa misma Muerte dominadora de los niveles imaginarios.

La inspiración poética de Adonis se ajusta especialmente en el poema breve, y por eso, en este libro suyo, el que utiliza con mayor frecuencia es aquel que oscila entre los seis y doce versos: lo que enmarca a la perfección ese instante fotográfico que capta su ánima. Los poemas que son de mayor longitud, como preludios, preparan y sugieren al oído y a la mente del oyente para lo que viene a continuación como un todo perfectamente trabado. Adonis, en ráfagas impresionistas taraceadas con cierto tono profético heredado de la tradición árabe, aprehende, sutilmente, el pálpito interior de la tierra, la pérdida de la infancia, el éxtasis del sexo, el hálito de la escritura, el pánico de Beirut y la máscara de la muerte.

La materia poética para Adonis es, sobre todo, creación: esa alquimia psíquica misteriosa, instante fugitivo de gran lucidez, cuyo resplandor ilumina la penumbra del inconsciente y descubre un mundo de imágenes latentes. Y en ella se columbra todo un mundo geográfico de antiguas culturas germinales.

Pero, sobre todo, escuchar de los propios labios de Adonis su poesía es un espectáculo inolvidable. En este hombre de ojos profundos, diminuto, recogido -que lleva su propio dolor solo consigo- se hace realidad, como en ningún otro poeta, que en todo gran poema árabe subyace otro segundo poema: la lengua, que es, según Adonis, lengua de emanación y explosión; no una lengua lógica y de relación causal, sino de destellos e intuiciones.

Pero habría que añadir que para el crítico -o para el oyente-, cuando esta lengua brota de su hálito se convierte en una prolongación de la magia, del hechizo, de los secretos de la naturaleza humana y, en él, su lengua se hace aún más íntima y personal: sagrada, soleada, entrelazada con humus profundos, con hálitos milenarios, con sinfonías de leyendas orientales, con ese lejano fondo musical de instrumento de cuerda, de melodía en lontananza, soporte de la letra y de juglares vagabundos.

La poesía para Adonis es como el amor: no podemos amar solos, en el amor siempre hay dos. En el amor el Otro pasa a formar parte integrante del Yo. Igualmente, la poesía tiene necesidad del Otro, de unificar el Yo con el Otro.

Adonis que, en su llegada a Madrid ofreció un recital en La Residencia de Estudiantes, aboga por crear un nuevo Al Andalus que permita que los extremos coexistan. Los intelectuales, y sobre todo los poetas españoles deben trabajar para que ese símbolo andalusí se arraigue.

Adonis, fraternal, es el verso y la lluvia/ [su] pluma es seno de doncellas/ y [sus] papeles, vida.



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Poesía:
- Primeros poemas (Beirut, 1957)
- Hojas del viento (Beirut, 1958)
- Canciones de Mihyar el de Damasco (Beirut, 1958) Trad., P. Martínez Montávez (Inst., Hispano-Árabe de Cultura, 1968).
- Libro de las huídas y mudanzas por los climas del día y la noche (Beirut, 1965). Trad., F. Arbós (Ed., del Oriente y del Med., 1994)
- El teatro y los espejos (Beirut, 1968) (Próx. trad., L. Prieto)
- Tiempo entre rosas y cenizas (Beirut, 1970) y - El libro de los cinco poemas (Beirut, 1980), extrajo F. Arbós su trad.: Epitafio para New York y Marraquech-Fez o el espacio entreteje la interpretación (Hiperión, 1987).
- Singular en forma de plural (Beirut, 1977)
- El libro del cerco (Beirut, 1985)
- Deseo que avanza por los mapas de la materia (Casablanca, 1987)
- Homenajes (Beirut, 1988) Trad., Ma L. Prieto (Libertarias/Unesco)

Ensayo:
- Introducción a la poesía árabe (Beirut, 1971) Trad., C. Ruiz-Bravo (Univ., Autónoma, 1976)
- Tiempo de poesía (Beirut, 1972)
- Lo fijo y lo cambiante (3 vol.,) Beirut, 1974, 1977 y 1978.
- Prefacio para final de siglo (Beirut, 1980)
- Política de la poesía (Beirut, 1985)
- La poética árabe (Beirut, 1985)
- La palabra de los comienzos (Beirut, 1989)
- Canciones de Mihyar el de Damasco (1961). Trad., Pedro Martínez Montávez, Ed., del Oriente y del Mediterráneo, Madrid, 1997.